Nicolas Poussin


Nicolas Poussin
(1594-1665)


Je me rappelle que dans mon mémoire de M2 ou dans le journal je supposais que Poussin serait tellement plus ennuyeux que d’autres artistes que j’ai lus… En jugeant d’après son œuvre, bien sûr. Avec Léonardo (à décortiquer plus tard), c’est le seul vieux qui n’approche pas l’art comme l’approche un artiste à partir du 19ème siècle : c’est un professionnel qui ne bavarde pas poétiquement sur la création. Il s’en occupe, très prosaïquement, du savoir faire de ses tableaux, de l’argent, des commandes et de la satisfaction de ses clients. Franchement, c’est soporifique : « Mon naturel me contraint de chercher et aimer les choses bien ordonnées, fuyant la confusion qui m’est aussi contraire et ennemie comme est la lumière des obscures ténèbres. » (p. 67, lettre à Chantelou, Paris, 7 avril 1642). Franchement, les ténèbres sont plus intéressantes… En tout cas, avoir accès à la pensée de quelqu’un du 17ème siècle n’a pas de prix : ça m’aide même à situer ma recherche dans une époque plus précise parce que les choses changent. Peut-être la création artistique (en tant qu’état quasi mystique[1]) n’est qu’une invention moderne ? Je ne sais pas.

L’histoire ne nous a laissé qu’une partie de sa correspondance et quelques fragments (citations et résumés plutôt) pour un livre sur la peinture qu’il voulait écrire. Malheureusement, il avait tant de succès qu’il peignait des commandes sans arrêt.

De toutes ses lettres il n’y qu’une qui approfondi un peu la problématique de l’art en lien avec le livre Idée de la perfection de la peinture, écrit par le frère de Chantelou :

« DÉFINITION
C’est une imitation faite avec des lignes et couleurs en quelque superficie de tout ce qui se voit dessous le soleil, sa fin est la délectation.

PRINCIPES QUE TOUT HOMME CAPABLE DE RAISON PEUT APPRENDRE
Il ne se donne point de visible sans lumière.
Il ne se donne point de visible sans moyen transparent.
Il ne se donne point de visible sans terme.
Il ne se donne point de visible sans couleur.
Il ne se donne point de visible sans distance.
Il ne se donne point de visible sans instrument.
                       Ce qui suit ne s’apprend point,
                       Ce sont parties du peintre »
(p. 174, lettre à M. de Chambray, Rome, 1 mars 1665)

Apparemment ces principes sortent des traités d’optique du Moyen Age, dixit la note d’en bas de page, mais ce qui m’intéresse, ce sont les « parties du peintre » que, l’année de sa mort, Poussin les sépare de la clarté ordonnée de son naturel : « Pour donner lieu au peintre de montrer son esprit et industrie, il la faut prendre capable [la matière] de recevoir la plus excellente forme. Il faut commencer par la disposition, puis par l’ornement, le décoré, la beauté, la grâce, la vivacité, le costume, la vraisemblance et le jugement partout. Ces dernières parties sont du peintre et ne peuvent s’apprendre[2]. C’est le rameau d’or de Virgile que nul ne peut trouver ni cueillir s’il n’est conduit par la fatalité. » (p. 175, idem) La note de bas de page nous explique que le rameau de Virgile est l’inspiration, donc « la partie du peintre » n’est pas vraiment le talent (ça aussi, surement), mais la création… Le problème avec Poussin et comment le comprendre c’est aussi la langue qui date de quelques siècles : est-ce que le « jugement » a le même signifiant de nos jours ? Qu’est-ce que signifie «s’il n’est conduit par la fatalité. » ? La fatalité est tout le contraire du contrôle : « Puissance occulte qui, selon certaines doctrines, déterminerait le cours des événements d'une façon irrévocable. »[3]

Poussin. Lettres et propos sur l'art. Textes réunis et présentés par Anthony Blunt. Hermann Editeurs des sciences et des arts, 2012





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