Un raisonnement distinct



Le rationalisme s’appuie sur le raisonnement pur et doute de tout, car les sens sont trompeurs ; il s’agit de développer la raison et non de vivre l’expérience. Mais quelle création est-elle possible sans expérience ? L’auteur de La philosophie pour les nuls[1] relate un rêve de Descartes où il se voyait devant un choix difficile : « quel chemin suivrais-je ? » — celui du dictionnaire ou celui d’une anthologie de poèmes ? Il a choisi le concret et la certitude contre la fantaisie monstrueuse de l’art et dans sa recherche de la vérité il décrit quatre règles de sa méthode. Le titre de cette méthode est parlant : « Discours de la méthode (pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences) » — ergo, pas de vérité au-delà de la science ? Ses quatre règles proclament que :

1.     est vrai ce qui est conçu clairement et distinctement – évidence
2.     diviser la difficulté — analyse
3.     « reconstruire l’ensemble à partir des éléments » - synthèse
4.     traiter la question exhaustivement – énumération.[2]

D’un coup (bon, quatre), Descartes a éliminé toute joie et plaisir de penser, de créer — il ne s’agit que de l’analyse froide. Pour lui, d’après ce que je comprends, tout ce qui est rêvé, est monstrueux. En revenant à la gravure de Goya[3] et en analysant l’image en soi, les « monstres » surtout, je vois un chat, bien éveillé et assis à côté du « dormant », un autre chat ou loup peut-être juste derrière et des chouettes qui volent. Les silhouettes à l’arrière-plan sont moins claires : toujours des chouettes ou des chauves-souris peut-être, animaux moins aimés par l’homme… Toutefois, la chouette est symbole de sagesse, de la philosophie, même si « Au Moyen Âge, elle est associée à la rouerie et à la tromperie : elle profite de la nuit pour chasser, moment où ses proies sont souvent “aveugles” tandis qu’elle voit clair. »[4] Les deux autres animaux que je crois percevoir partagent une qualité avec le hibou : la vision nocturne, même s’ils oscillent entre le bien et le mal dans leur symbolique[5]
Que voulait dire Goya exactement, on ne le saura jamais, il ne me reste qu’à interpréter ce que je vois comme je le vois. Et je vois qu’il est nécessaire aussi de voir clair tout en étant aveugle et dans la nuit.



Résultats de recherche d'images pour « goya le sommeil de la raison » 


























« Cogito ergo sum » — douter de tout sauf de la pensée elle-même, du fait que le cerveau travaille. Mais le travail de l’esprit n’est pas seulement fait par la rationalité, mais aussi par le rêve… au XXIe siècle et « la pensée essaie de sauver sa peau » parce qu’il se dévoile la part « animale » de l’homme qui est la plus humaine… » (Godin, 2010, p. 316). L’animal est l’inconnu — l’animal n’est pas scientifique. Il s’agit donc d’une nouvelle dualité : science et art. Nietzsche séparait déjà les choses dans Humain, trop humain en parlant d’un artiste ou d’un écrivain : « … il ne veut pas abandonner les conditions les plus efficaces pour son art, tel que le fantastique, le mythique, l’incertain, l’extrême, le sens du symbole, la surestime de la personnalité, la croyance à quelque chose de miraculeux dans le génie… » (p. 527) — toutes des choses échappant à la science parce qu’il s’agit du sommeil/rêve de la raison.
La science et la rationalité ne peuvent pas ignorer le négatif mystérieux ou vouloir à tout prix l’expliquer. « Ce qui était, pour la philosophie réflexive, pierre d’achoppement, devient, du point de vue de la négativité, principe d’une solution. Tout se ramène vraiment à penser rigoureusement le négatif. » (Merleau-Ponty, p. 91)
Penser ? Vraiment ?


[1]Godin, 2010, p. 24
[2]Godin, CH. C. , La philosophie pour les nuls, Tome 2, First editions, Paris, 2010, p. 29
[3]reproduction de la gravure de Goya File:Francisco José de Goya y Lucientes - The sleep of reason produces monsters (No. 43), from Los Caprichos - Google Art Project.jpg Création : 31 décembre 1798 sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/El_sue%C3%B1o_de_la_razon_produce_monstruos#/media/File:Francisco_Jos%C3%A9_de_Goya_y_Lucientes_-_The_sleep_of_reason_produces_monsters_(No._43),_from_Los_Caprichos_-_Google_Art_Project.jpg
[5] Dictionnaire des symboles, Robert Lafont, 1969

Commentaires

Articles les plus consultés