Alberto Giacometti

Alberto Giacometti

Écrits. Présentés par Michel Leiris et Jacques Dupin, Hermann Éditeurs, 1990
Livre qui rassemble écrits, lettres et entretiens.


J’ai beaucoup aimé le livre, même si je sens qu’il ne me servira pas trop. Je me trompe, surement.  Mais j’ai eu l’opportunité de mieux connaître cet artiste et, je dois l’avouer, il m’a surpris. On s’imagine une personne d’après ses œuvres, ses faits ou d’après ses photos, mais l’expression verbale montre une autre vérité…  Ces textes ont un petit air de Blanchot ou de Quignard : fragments. Rêves. Souvenirs. Abstrait. Lui même le dit : « Je ne puis parler qu’indirectement de mes sculptures. » (p. 17)

Un aveugle avance la main dans la nuit 
« Si je savais faire (mais je ne suis pas sûr de le vouloir) si je savais faire une sculpture, une peinture comme je veux (mais je suis incapable de dire ce que je veux ?). Si je savais les faire, elles seraient faites je pense depuis longtemps (oh je vois un tableau merveilleux et brillant mais il n’est pas de moi, il n’est de personne. Je ne vois pas les sculptures je vois le noir). » (p. 64)

Ma réalité
Je fais certainement de la peinture et de la sculpture et cela depuis toujours, depuis la première fois que j’ai dessiné ou peint, pour mordre sur la réalité, pour me défendre, pour me nourrir, pour grossir ; grossir pour mieux me défendre, pour mieux attaquer, pour accrocher, pour avancer le plus possible sur tous les plans, dans toutes les directions, pour me défendre contre la faim, contre le froid, contre la mort, pour être le plus libre possible ; le plus libre possible pour tâcher – avec les moyens qui me sont aujourd’hui les plus propres – de mieux voir, de mieux comprendre ce qui m’entoure, de mieux comprendre pour être le plus libre, le plus gros possible, pour dépenser, pour me dépenser le plus possible dans ce que je fais, pour courir mon aventure, pour découvrir de nouveaux mondes, pour faire ma guerre, pour le plaisir ? pour la joie ? de la guerre, pour le plaisir de gagner et de perdre. » (p. 77) Quel beau statement.

 « … impossible indessinable… » (p. 92)
« Les souvenirs des œuvres d’art se mêlent à des souvenirs affectifs, à mon propre travail, à toute ma vie. » (p. 95)
« Plusieurs heures découragé, incapable de travailler, c’est de cette manière que [la journée] a commencé, et puis deux heures de travail intense, heureux, pendant lesquelles j’ai vu différentes choses nouvelles, où j’ai appris peut-être à voir un peu plus profondément dans les choses, pas beaucoup. Tout est tellement caché, imperceptible, et c’est bien difficile de se rendre compte clairement de la moindre chose de la nature. J’ai rencontré beaucoup de monde, j’ai entendu prononcer tant, beaucoup, d’imbécilités et de non-sens. Presque chez tous règne une confusion infinie  et presque tous, ou même tous sont pendus, suspendus sur un vide, leurs pieds ne touchent aucune base et leur regard n’a aucun but. Je tâche de faire de la sculpture et du dessin et je me demande : « Que faut-il faire ? Qu’est-ce qui est juste ? Quelle est la chose qui a une valeur effective pour tous ? » Et la réponse que je me donne est vague, incertaine, et toutes les réponses que j’ai entendues de mes amis, des gens que je connais, sont aussi pareilles et pas autrement. » (p. 109)

« Dimanche 2 mars 1924
Dorénavant garder toujours l’équilibre de soi-même, en soi-même, et ne plus faire des trous dans le vide. » (p. 111) Voilà, Kandinsky ou Klee sont des incontournables dans les écrits d’artiste, mais Giacometti me touche beaucoup. Eux m’irritent.

« L’infinie vanité de tout. Et le mystère existe sur tout, en tout.
Toujours l’homme a exprimé dans l’art sa conception du monde, plus directe que la philosophie. » (vers 1931/32, p ; 129)

« Critique, non. Pas écrite, j’aimes lire, et puis sur qui ou sur quoi ?
Considéré comme phénomène Miro, Dali. Et le reste.
Rien à leur dire [par] écrit. Terrain seulement possible indirectement par les objets, terrain mouvant, suspendu un peu.
Et ils passent. Vite, un peu. Tous avec des jeux. Et deux jambes peut-être qui les portent sur une ligne ailleurs, par dessus une ligne au loin. C’est tout.
Et les cendres des os et des cigarettes toujours quelque part.
Ils bougent. Et puis, étendus, ils dorment ou ils meurent aussi quelquefois, un de temps en temps, pac, il tombe, dans un vide.
plutôt l’espace lui non plus, à petits points.
Ne pas écrire, alors crier.
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A toutes dimensions
toujours
non pas
Avec               rien. »
(vers 1932/33, p. 143)



« Écrire des pages et des pages, les remplir de pierres, d’herbe, de foret, de cieux, de mouvements des gens dans la rue, de voix, de maisons, de passé, d’aujourd’hui, de tableaux, de statues, de rivières et de vagues et de verres et de pots [    ] et de plâtre blanc dans mon atelier et de nuages, enfant [couché] dans [la liberté]. » (vers 1947, p. 191)

« Je ne vois pas beaucoup plus loin en peinture et en dessin, oui.
L’espace n’existe pas, il faut le créer mais il n’existe pas, non. » (vers 1949, p. 198)

« Toute sculpture qui part de l’espace comme existant est fausse, il n’y a que l’illusion de l’espace. » (vers 1949, p. 200)

«Tout reprendre à la base, tels que je vois les êtes et les choses, surtout les êtes et leurs têtes, les yeux à l’horizon, la courbe des yeux, le partage des eaux.
Je ne comprends plus rien à la vie, à la mort, à rien. » (février 1963, p. 223)



« J’ai l’impression d’être un personnage vague, un peu flou, mal situé. A voir. » (septembre 1963, p. 228)


« J’ai effacé les yeux que j’avais peint tout à l’heure ; je ne les avais pas peints exprès, mais les yeux sont apparus tout seuls. C’était la première expérience. » (entretien avec Isaku Yanaihara, p. 260)



« Impossibilité totale de saisir l’ensemble d’une tête. » (entretien avec André Parinaud, p. 270)
« L’être humain se complexifie. Et dans cette mesure, je n’arrive plus à l’appréhender. Le mystère s’épaissit sans cesse depuis le premier jour… » (entretien avec André Parinaud, p. 271)
« Or, dans mes intentions, la sculpture était autre chose que l’objet. C’était donc un échec. J’étais passé à côté du mystère, mon travail n’était pas une création, il n’était pas différent de celui du menuisier qui construit une table ! » (entretien avec André Parinaud, p. 272)
« La photographie donne une vision suffisante du monde extérieur pour que l’artiste soit libre de peindre son intérieur, ou son inconscient, ou ses sensations. » (entretien avec André Parinaud, p. 276)
« Beaucoup d’artistes éprouvent une espèce de terreur de la réalité, parce qu’ils s’imaginent qu’ils resteront toujours en-dessous de la photographie à laquelle ils croient bel et bien, ou qu’au pis-aller, s’ils copient, leur peinture sera banale, ou au mieux-aller de l’impressionnisme, donc du déjà fait. Or ce n’est plus la peine de recommencer. Pour eux le monde est vide ! » (entretien avec André Parinaud, p. 277) ?????
« - Voulez-vous dire qu’un artiste est un être anormal ?
- Eh bien ! D’une certaine manière, c’est plutôt anormal de passer son temps, au lieu de vivre, à essayer de copier une tête, d’immobiliser la même personne pendant cinq ans sur une chaise tous les soirs, d’essayer de la copier sans réussir, et de continuer. (…) Et l’aventure, la grande aventure, c’est de voir surgir quelque chose d’inconnu chaque jour, dans le même visage, c’est plus grand que tous les voyages autour du monde.  » (entretien avec André Parinaud, pp. 278-279)



«(…) Je commençais grand comme ça et quand c’était fini, irréductiblement, c’était petit comme ça. C’était diabolique.
Était-ce tout à fait involontaire ?
Tout à fait.
(…)
Elle mincissait, mincissait ?
Oui ; j’étais épouvanté. »
(entretien avec Pierre Dumayet, pp. 280-281)

« Ce n’est plus pour réaliser la vision que j’ai des choses, mais pour comprendre pourquoi ça rate. L’idée de faire une peinture ou une sculpture de la chose telle que je la vois ne m’effleure plus. C’est comprendre pourquoi ça rate, que je veux. (Presque désespéré) Je vous vois pourtant bel et bien, non ? Pourquoi est-ce donc impossible de donner cette apparence ? Ça je veux le savoir. Et le ratage devient le positif en même temps. » (entretien avec Pierre Dumayet, p. 284)


















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