Jean Dubuffet


Avant de passer à des choses plus ennuyantes (enfin, plus compliquées car Kandinsky et Malevitch m’ont donné la migraine ; Matisse a les choses les plus intéressantes en notes de bas de page ce que rend la prise de notes assez difficile…) j’ai un petit livre de la série "Paroles d’artistes" de FAGE éditions : Jean Dubuffet (2016). Encore une fois une recueil d’idées.

« Il faudrait que les docteurs fassent le grand harakiri de l’intelligence, le grand saut dans l’imbécillité extralucide, c’est alors seulement que ça leur pousserait les millions d’yeux. » (p. 16 – du « L’art brut préféré aux arts culturels », 1949) « L’imbécillité extralucide » ! C’est le non-savoir ? La connaissance basée sur le mystère ? Les millions d’yeux ne sont ils pas une vision hors vision, celle qui voit le plus loin, le plus en profondeur ? Là où les yeux n’ont pas accès ? Dubuffet est le représentant nr. 1 de l’art brut… Qu’est-ce que c’est que l’art brut ?

Les œuvres d’Art Brut sont réalisées par des créateurs autodidactes, des marginaux retranchés dans une position d’esprit rebelle ou imperméables aux normes et valeurs collectives, qui créent sans se préoccuper ni de la critique du public ni du regard d’autrui. Sans besoin de reconnaissance ni d’approbation, ils conçoivent un univers à leur propre usage. Leurs travaux, réalisés à l’aide de moyens et de matériaux généralement inédits, sont indemnes d’influences issues de la tradition artistique et mettent en application des modes de figuration singuliers.
C’est au peintre français Jean Dubuffet que l’on doit le concept d’Art Brut. Il constitue dès 1945 une collection d’objets créés par des pensionnaires d’hôpitaux psychiatriques, des détenus, des originaux, des solitaires ou des réprouvés. Il perçoit dans cette création marginale une « opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions ». La notion d’Art Brut repose ainsi sur des caractéristiques sociales et des particularités esthétiques.

Définition de l’Art Brut par Jean Dubuffet

« Nous entendons par là [Art Brut] des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistiques, dans lesquels donc le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que leurs auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écritures, etc.) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode. Nous y assistons à l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions. De l’art donc où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe».
Jean Dubuffet, tiré de L’Art Brut préféré aux arts culturels, Paris, Galerie René Drouin, 1949.[1] 

 L’art brut  correspond tout à fait à la thèse que j’avance : le création se fait dans le non-savoir, mais… Mais cela il faudra confirmer avec des artistes qui ne sont pas des « originaux, des solitaires ou des réprouvés », patients psychiatriques. Il me faut de contemporains qui, apparemment, ne font pas de « l’opération artistique toute pure, brute, réinventée dans l’entier de toutes ses phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions ».  Duchamp pour commencer. Yves Klein. Ce dernier que je n’arrive pas à lire est… dur ! Un peu trop exalté et radical. Comme Malevitch qui me sonne à propagande communiste que je déteste tant. C’st que je pensais aujourd’hui : je dois me faire une grille où je peux répertorier ces propos d’artistes par catégories – formation, création, savoir, connaissance, négatif. Je vois que grosso modo le discours se répète (en tenant en compte que je retiens que ce qui m’intéresse et me convient aussi – hello, biais !), mais à la fin, je devrais avoir un représentant de l’art brut, un de l’art conceptuel, etc. Trouver une base commune à cette création qui prend des formes si différentes dans le produit final.

« L’intellectuel, il raffole des idées, c’est un grand mâcheur d’idées, il ne peut pas concevoir qu’il ait d’autres gommes à mâcher que celle des idées.
Or bien l’art c’est justement une gomme qui n’a rien à voir avec les idées. On les perd quelquefois de vue. Les idées, et l’algèbre des idées, c’est peut-être une voie de connaissance, mais l’art est un autre moyen de connaissance dont les voies sont tout autres : c’est celles de la voyance. La voyance n’a que faire de savants et d’intelligents, elle ne connaît pas ces zones-là. Le savoir et l’intelligence sont débiles nageoires auprès de la voyance. » (p. 20 -  du « L’art brut préféré aux arts culturels », 1949) Les artistes, nous sommes ou pas des intellectuels ? Il en a, mais il a aussi des idiots. A la fin n’est pas vraiment une question de coefficient intellectuel… juste une autre manière d’aborder les choses et un autre type de connaissance.

« Je crois très important pour un artiste qu’il s’exerce à aligner sa pensée sur ce qu’il a fait, au lieu de s’entêter à aligner son ouvrage sur ce qu’il a en pensée. […] Plutôt que modifier l’œuvre, modifier le regard. » (p. 26 – du Bâtons rompus, éditions de minuit, 1986) à flexibilité et tolérance.

« Prenant leur naissance à des taches et tracés de nature purement mentale ces lieux donnent à ressentir (au moins pour moi) le caractère pareillement purement mental et illusoire de tous les lieux qui soient. A ce titre on peut taxer ces peintures de nihilisme. Elles récusent le Verbe en son entier. Elles récusent la notion de réalité et l’existence objective de quoi que ce soit […] » (p. 60 – lettre à Gaiano, 2 novembre 1983) Peintures nihilistes… Ok, voyons qu’est-ce que c’est que le nihilisme exactement :
Le mot nihilisme évoque spontanément les idées de négation, de destruction, de violence, de suicide et de désespoir. Camus a souligné les affinités entre nihilisme et révolte. On devine que cette crise nihiliste procède des événements qui ont, depuis la Réforme et la Renaissance, miné la représentation médiévale, anthropocentrique et théologique, du monde. La proclamation de Nietzsche : « Dieu est mort » traduit cette soudaine prise de conscience que la foi chrétienne a perdu son fondement et que tout notre système de valeurs s'en trouve déséquilibré. On devine également que les horreurs du dernier demi-siècle reflètent l'anxiété morbide qui ronge l'âme moderne et la volonté fanatique d'échapper à cette détresse en imposant, par la force des armes ou la contrainte idéologique, un nouveau système de valeurs capable de redonner un sens à l'existence humaine. [2]
Ou :
Doctrine selon laquelle rien n'existe au sens absolu; négation de toute réalité substantielle, de toute croyance.[3]

Eh… non, l’art ne semble pas être nihiliste. On a beaucoup de foi, nous les artistes. Pas en un dieu, mais sans une sorte de foi en soi-même et en l’inconnu…





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