Francis Bacon – Entretiens avec Michel Archimbaud


Francis Bacon – Entretiens avec Michel Archimbaud
-notes - 3

Ça va être long passer toutes les notes… J’espère que ça me serve comme apprentissage : le faire pendant la lecture ! Par contre, avec le temps on fait de nouvelles découvertes. Des accidents !
Les accidents, pour Bacon sont aussi indéfinissables qu’imprévus : des fois ça tient à la technique même qui n’est pas statique. La peinture à l’huile, du fait même qu’elle sèche très lentement permet de nouvelles découvertes. De mon expérience, le fait de peindre sur frais fait perdre le contrôle (technique) : si l’on met du jaune sur un bleu frais cela donne du vert (les écoliers le savent, c’est l’exercice stupide par excellence !), mais le même jaune sur un bleu moins frais, pas tout à fait sec ? Un bleu de hier ou de deux jours ? Ce sont des verts différents. Et si par accident une pointe du pinceau passe par une autre couleur ? Les combinaisons sont infinies, c’est plus une application de la théorie du chaos  (peut-être, les sciences ne sont pas mon domaine). J’imagine qu’on peut étudier toutes ces possibilités et avoir un manuel, mais ça n’a pas de sens… Le degré de séchage, le type de jaune ou de bleu, la peinture plus ou moins diluée, le support, le temps qu’il fait dehors (plus ou moins humide), la proportion huile-térébenthine, etc. tant de facteurs à contrôler… Pourquoi faire ? Quelle paresse…  Il faut avoir des surprises ! Même des mauvaises. N’importe quelles.
« FB - On sait, on voit quelque chose que l’on voit faire, mais la peinture est tellement fluide que l’on ne peut rien noter. Le plus étonnant, c’est que ce quelque chose qui est apparu comme malgré soi est parfois meilleur que ce que l’on était en train de faire. Mais ce n’est pas toujours le cas, malheureusement ! J’ai souvent détruit en les reprenant, en les poursuivant, des tableaux qui étaient au départ bien meilleurs que ce à quoi j’aboutissais.
MA – Vous voulez dire que vous ne savez pas, lorsque vous commencez, où vous vous dirigez et encore moins où vous aboutirez ?
FB – Non, ce n’est pas tout à fait ça, parce que lorsque je commence une nouvelle toile, j’ai une certaine idée de ce que je veux faire, mais pendant que je peins, tout d’un coup, en provenance en quelque sorte de la matière picturale elle-même, surgissent des formes et des directions que je ne prévoyais pas. C’est cela que j’appelle des accidents. 
MA – Est-ce que l’on pourrait qualifier ces accidents d’inconscients.
FB – Pas exactement, parce que ce mot évoque trop la psychanalyse et que ce n’est pas tout à fait, je crois, de la même chose qu’il s’agit ; mais peut-être, d’un certain point de vue, n’est-on pas très loin de ce que Freud voulait dire.
MA – Pensez-vous que la peinture est essentiellement faite de ces accidents ?
FB – Non, c’est plus compliqué. Ce qui finalement apparaît dans le meilleur cas sur la toile, c’est probablement un mélange entre ce qui est voulu par le peintre et ces accidents dont nous parlons depuis un moment. Il y a toujours, me semble-t-il, en peinture, et peut-être est-ce comme ça dans les autres arts, une part de maitrise et une part de surprise, et cette distinction rejoint peut-être le champ de ce que la psychanalyse a défini comme conscient et inconscient ? » (pp. 67-68)
Note : Bacon lit a Freud et l’aime bien, mais il n’a pas approché la psychanalyse en pratique. La psychanalyse serait comme une confession : « une démarche religieuse. » (p. 70) Pas complétement faux.
Mon royaume pour le témoignage d’une conversation entre Bacon et Lucien Freud sur ce sujet ! Ou juste savoir qu’en pense, Freud, le petit fils de Freud…
« FB – (…) La distinction aujourd’hui classique entre conscient et inconscient est très féconde, me semble-t-il. Elle ne recouvre pas tout à fait ce à quoi je pense par rapport à la peinture, mais elle a l’avantage de ne pas recourir à une explication métaphysique pour parler de ce qui échappe à la compréhension logique des choses. L’inconnu n’est pas renvoyé du côté de la mystique ou quelque chose comme ça. Et c’est très important pour moi, parce que j’ai horreur de toute explication de cet ordre. C’est ce que je vous disais, ce que je nomme accident, cela n’a rien à voir avec l’intervention d’une inspiration, celle dont on a doté pendant si longtemps les artistes. Non, c’est quelque chose qui provient du travail lui-même et qui surgit à l’improviste. (…) Là, on ne sait pas où l’on en est, vers où l’on va et surtout ce qui va se passer. On est dans le brouillard. » (pp. 70-71)
Sur le mystère : « c’est plutôt de chimie qu’il faut parler : c’est le phénomène naturel des substances qui se mêlent pour donner d’autres substances. Il n’y a pas de mystère, si par mystère on entend quelque chose qui serait hors du monde. Tout se passe ici, sous nos yeux» (p. 73)

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