Francis Bacon – Entretiens avec Michel Archimbaud
Francis Bacon – Entretiens avec Michel Archimbaud
Éditions Gallimard 1996
- notes -
Préface : Milan Kundera. « Rien ne
peut mieux initier à l’art qu’écouter parler de grands artistes. Mais le
savent-ils encore ? Le poids du discours universitaire pèse si lourdement
sur eux que, mêle s’ils parlent de leur pratique, ils ne s’expriment plus comme
des artistes (simplement) mais comme des professeurs (en jargonnant, en
théorisant). C’est ce contre quoi, autrefois, se rebiffait Gombrowicz :
les artistes en parlant de l’art ont perdu leur propre langue ; ils ont
succombé à la règle de notre époque : « Plus c’est savant, plus c’est
bête. » Il va falloir garder ces mots de Kundera en
entête de chaque propos d’artiste reproduit ici en tant que rappel. Et, pour
moi en tant qu’explication : pourquoi je suis si déçue de ce que disent
les artistes ? Duchamp le dit en 1946: « J’en ai assez de
l’expression « bête comme un peintre ». » (Duchamp du signe, p.
191) – tout artiste en a assez d’être traité en bête, même moi après avoir
avancé que la création se fait dans le non-savoir je me suis sentie un peu mal
à l’aise, comme si je réaffirmais une sorte de stupidité propre à l’artiste
plasticien… Duchamp avance l’idée d’une expression intellectuelle, ce qui a
marqué le cours de l’art nommé contemporain – tout est concept et l’expression
plus animale, sensorielle, sentie et poétique est moins bien reçue. Bon, c’est
une exagération parce que tout existe et coexiste, je n’aime pas du tout l’idée
de trancher entre l’art dit moderne et le contemporain, senti versus pensé,
etc. Dans les deux modalités il y a de la création, création qui n’est pas
complétement intellectuel ni complètement viscéral, ni savant, ni bête. C’est autre chose - entre les deux ou ailleurs.
Mais revenons à Bacon. Le type est complètement
adorable[1], tourmenté et son œuvre … Ses tableaux m’ont toujours dérangés, comme
une nausée. C’est inquiétant et étrange. Je les admire, mais je ne les supporte
pas, ce sont comme des cauchemars. Je l’aime bien à lui, ce qu’il dit et
comment il le dit. Mais c’est la mémoire d’un homme ; où l’on ne peut que
saisir des petits instants. Il y a un film sur Bacon et son amant et on voit ces
cauchemars qui sont plutôt de l’autre, les cauchemars et la folie de celui qui
lui pose. Qu’est qu’il y a de vrai dans un interview filmé ou pis, écrit ?
Qu’est-ce qu’il reste de la vraie personne ? Où commence et finit le
mythe ? On ne le sait pas. C’est comme ce film qui vient de paraitre sur
Freddy Mercury, j’ai un peu peur d’aller voir un acteur (qui peut être
excellent) qui fait semblant d’être. Travaillons avec ces restes et avec les
fragments…
Conversations sur tout, dans ce livre :
argent, vie, art, artiste(s), influences (Picasso), les autres artistes. Par
exemple, Seurat « Je pense cependant que ses dernières œuvres ont été
moins intéressantes, parce qu’il a trop cherché à expliquer les choses et à
appliquer ses théories ; je crois que ses idées sur la couleur, sur la
composition ou sur d’autres sujets, ses idées en général, ont bloqué sa
création ; ses explications sur comment faire une peinture me semblent
avoir tué sur la fin de sa vie son instinct. » (p. 43-44) Voilà :
Bacon pense que la rationalisation tue la création. Il me semble qu’il le dit
plus loin aussi. Je suis d’accord et en allant plus loin, vers des artistes
théoriciens : Kandinsky, Malevich, Klee… leur production… je ne sais
pas : ça ne me dit rien ! Mais plus tard avec eux.
Sur Warhol :
« FB (…) même s’il a été le plus
intelligent des artistes pop, l’intelligence n’a jamais fait l’art, n’a jamais
fait la peinture… malheureusement. –
MA : Qu’est-ce qui fait la
peinture ? –
FB : On ne sait pas. »
MA – Mais si ça n’st pas seulement
une question d’intelligence, ça vient d’où la peinture : du cœur ; de
l’estomac ; des tripes ?
FB – On ne sait pas d’où ça
vient. » (p. 47)
Heureusement, peut-être. No comment. Ça peut venir du vide.
Dans le deuxième entretien MA revient sur cette même
question : d’où vient la peinture.
« FB – Le problème principal, lorsqu’on
est artiste, c’est d’arriver à faire quelque chose qu’on voit avec son
instinct, or on n’y arrive presque jamais. On est toujours, je crois, à côté.
Mais c’est le principal problème qui se pose : arriver à faire quelque
chose instinctivement. Quant à expliquer l’instinct, c’st vraiment une question
très complexe. En voyant comme la peinture change au fil des siècles, on peut
se demander si l’instinct ne change pas lui aussi de siècle en siècle, s’il
n’est pas modifié par tout ce que l’on voit, tout ce que l’on entend. Je ne
sais pas. En tout cas, ce que je peux dire, c’est que l’instinct s’impose. La
façon que l’on a de faire une image, cela on peut l’expliquer[2] peut-être, parce que c’est un problème de technique. (…) …c’est que la peinture, ça on ne peut pas
l’expliquer, cela me semble impossible. Ce que je peux peut-être dire, c’est
qu’à ma propre façon, désespérée, je vais ça et là suivant mes instincts. » (pp. 56-57)
L’instinct… en fait ça n’existe pas. C’est du
savoir que l’on possède. Mieux dit qui nous possède parce qu’il est un savoir
inaccessible, hors son soi. Perdu dans sa propre nature. Savoir hors savoir car
inconscient. Donc ça on peut le prendre philosophiquement (Blaga, Bataille,
Blanchot, etc.) ou scientifiquement. L’instinct c’est une « Impulsion intérieure indépendante de la
réflexion qui détermine les sentiments, les jugements, les actes d'une personne[3] »,
mais il est basé sur des connaissances accumulées qui travaillent dans le
background, d’où cette association à l’inconscience. Le cerveau travaille comme
ça, en pilote automatique – il n’est « conscient » que très peu de
temps, tu roule comme dans une sorte de mécanisme hyper complexe. Quels moments
sont les conscients ? J’imagine que presque tout de ce qui a à faire avec
le mouvement, échappe. Donc, oui, au moment de la peinture on laisse plutôt le
pinceau à faire la pensée. C’est plus complexe que marcher, mais on peut
comparer : si tu penses/rationalises le mouvement (je lève le pied,
je le pose, je lève l’autre (pas en même temps que le premier !), je
l’avance, je le pose) on risque de tomber ou de trébucher au moins. On ne
marche plus naturellement. Tout comme la peinture : si l’on sait
consciemment tout ce que l’ion fait on
peint plus. La peinture n’est pas une profession que l’on choisit comme
n’importe quelle autre : elle doit venir naturellement et doit se faire
naturellement. Ce naturel revient à la respiration.
Ce qui s’applique au « faire de la peinture », à la
création, s’applique aussi bien à l’explication : « FB –
(…) Je ne crois pas qu’on puisse donner l’explication d’un poème ou
d’une peinture. Picasso, par exemple, parlait très bien de la peinture. Il a
dit toutes sortes de choses intelligentes sur la peinture. Mais il n’est jamais
parvenu à expliquer son génie ! » (p. 58)
Voilà. A plus tard.

[1]
Je le trouve, mais si je l’imagine insupportable au quotidien.
https://www.youtube.com/watch?v=h0iWdjh4Xkg
: une vidéo assez bizarre ou un Bacon ivre raconte ses vérités. « Je n’ai
jamais réussi, c’est à cause de ça que je peins. » « Mon travail est
un reflet de ma vie ». « J’ai peur de la violence » - il peint
ça peur ? Je trouve ses tableaux très violents… une violence interne qui
détruit la figure, qui la fait exploser. Ce n’est pas une violence subie, qui
vient de l’extérieur (possible aussi), mais une qui se montre et qui explose du
dedans, comme un melon trop mûr. A la fin, « ce qui me touche, c’est la
beauté. /// La beauté masculine » Là, je me pose une question sur
moi-même : mon sujet préféré c’est le nu. Le nu féminin. Francis Bacon
était homosexuel… Dois-je reconsidérer mon orientation sexuelle ? Non. Ça
n’a rien à voir et c’est là que je ne suis pas d’accord avec la psychanalyse :
on ne peut pas réduire tout au sexe… on ne peut pas avancer comme théorie de la
spécificité psychique (on peut dire ça ?) d’un artiste plasticien la
bisexualité (Lowenfeld). Je ne continue plus avec les chose qua Bacon dit… ça
tient trop à la vie : suicide (« Nada me fait exister »), mort
(qui n’est rien, nada), la vieillesse (c’est un marais) puis une sorte de
continuation malgré l’inutilité – tout a été fait et très bien fait, Rembrandt,
Velázquez… d’accord, Francis, même sentiment.
[2] Bob
Ross - un sujet très intéressant. C'est un peintre américain qui enseigne à peindre dans des programmes de télévision qui durent moins de 30 minutes. Effectivement, il peint un tableau pendant ce temps tout en expliquant comment il le fait: https://www.youtube.com/watch?v=VlucWfTUo1A Il est l'exemple parfait qui montre où se sépare le savoir, le savoir-faire et la technique de la création. Il ne doute pas.
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