Henri Matisse
Henri
Matisse
Écrits
et propos sur l’art, Hermann Éditeurs, 1972
J’ai
lu ce livre il deux mois déjà mais je ne trouvais pas le courage de commencer à
passer les notes… Il y a des grosses notes de bas de page qui sont très
intéressantes et je ne sais pas trop comment organiser… Je les rajouterais, comme dans l’original, en
bas de page au moins que ce ne soit que la note qui m’intéresse. En tout cas, la personne qui a établi le texte et les notes a fait un travail formidable - Dominique Fourcade.
« Derain
me disait un jour : « Pour vous, faire un tableau, c’est comme si
vous risquiez vote vie »… Je n’ai jamais commencé une toile sans avoir le
trac. » (cité par Florent Fels (Henri Matisse, Paris, Chroniques du Jour,
1929)) p. 35)
Notes
d’un peintre
« Un
peintre qui s’adresse au public, non plus pour lui présenter ses œuvres, mais
pour lui dévoiler quelques-unes de ses idées sur l’art de peindre, s’expose à
plusieurs dangers. (…) …un autre danger que j’entrevois maintenant, c’est
d’avoir l’air de me contredire. Je sens fortement le lien qui unit mes toiles
les plus récentes à celles que j’ai peintes autrefois. Cependant je ne pense
pas exactement ce que je pensais hier. Ou plutôt, le fond de ma pensée n’a pas
changé, mais ma pensée a évolué[1] et mes moyens
d’expression l’ont suivie. » (pp. 40-41)
« Et,
à Clara MacChesney qui lui demandait (« Atalk with Matisse, leader of
Post-Impressionists », The New York Times, 9 mars 1913) : « Mais
quelle est au juste votre théorie sur l’art ? » : Eh bien,
prenez cette table par exemple. Je ne peins pas littéralement cette table, mais
l’émotion qu’elle produit sur moi. » (Note de bas de page, p. 47)
« L’ensemble de
la toile doit être conçu suivant une vision très nette, dès l’origine de
l’œuvre (Fels, 1925). Beaucoup plus
tard, à la question d’André Verdet (Prestiges de Matisse, Paris, Emile Paul,
1952) : « Pensez-vous que l’œuvre
d’art soit toujours faite à l’avance ? », la réponse de
Matisse fut plus nuancée : Une œuvre
d’art à créer n’est jamais faite à l’avance contrairement à ce que
pensait Puvis de Chavannes prétendant qu’on ne voyait jamais assez tout à fait
à l’avance le tableau qu’on désirait faire. Il n’y a pas de rupture entre la
pensée et l’acte créateur. Il y a union et unité. En 1942, il déclare à
J. et H. Dauberville : Oui, pour moi, c’est toujours un problème de
commencer un tableau. Je ne sais jamais d’avance ce que je ferai. Je me laisse
entièrement mener par mon subconscient (Dauberville,
1958) » (Note de bas de page, p. 47)
« Marcel
Sembat faisant remarquer à Matisse qu’il allait d’instinct du concret vers
l’abstrait : C’est que je vais vers mon sentiment ;
vers l’extase. Et puis, j’y trouve le calme. Également recueilli
par Marcel Sembat cet autre propos : Vous savez, je
m’explique ensuite pourquoi je fais ainsi, mais d’abord, quand je fais, c’est
en block que je reçois la nécessité ! (Sembat, 1913).
Matisse ne changera pas de point de vue, déclarant en 1952 : Il n’y a
aucune intelligence dans ce que je fais. Je ne suis pas assez intelligent, je
ne peux pas faire autre chose que ce qui sort de moi (Couturier,
1962) » (Note de bas de page, p. 48) La note se réfère à : « Le
choix de mes couleurs ne repose sur aucune théorie scientifique : il est
basé sur l’observation, sur le sentiment, sur l’expérience de ma
sensibilité. » (p. 48)
« Dans
le même article, l’excellent écrivain [M. Peladan qui avait baptisé les fauves]
prétend que je ne peins pas honnêtement, et j’aurais le droit de me fâcher,
s’il ne prenait soin de compléter sa pensée par une définition
restrictive : Honnêtement, j’entends dans le respect de
l’idéal et des règles. Le malheur est qu’il ne nous dit pas où sont ces
règles. Je veux bien qu’elles existent, mais s’il était possible de les
apprendre, que d’artistes sublimes nous aurions ! » (p. 53) Ou pas
d’artistes du tout.
Matisse
interrogé par Apollinaire (1907)
« « J’ai
travaillé », m’avez-vous dit, « pour enrichir mon cerveau en
satisfaisant les différentes curiosités de mon esprit[2], en m’efforçant de
connaitre les différentes pensées des maitres anciens et modernes de la
plastique. Et, ce travail fut aussi matériel, car j’essayai en même temps de comprendre
leur technique. » (p. 54)
« Ordonner
un chaos voilà la création. Et si le but de l’artiste est de créer, il faut un
ordre dont l’instinct sera la mesure. » (p. 56)
« Je
crois que la personnalité de l’artiste se développe, s’affirme par les luttes qu’elle
a à subir conte d’autres personnalités. Si le combat lui est fatal, si elle
succombe, c’est que tel devait être son sort. » (p. 56)
Entretien
avec Jacques Guenne (1925)
« On
m’avait conseillé d’aller aux Antiques où professait Gustave Moreau. Il suffit,
m’avait-on dit, quand le maître passe,
de se lever pour être agréé parmi ses élèves.
(…) Quel maître charmant c’était
là[3] » (p. 80)
« Gustave
Moreau prenait-il connaissance de vos essais ?
Certainement.
Il me disait : vous allez simplifier[4] la peinture. »
(p. 81)
« Moreau
manifesta à mon endroit la même indulgence que pour Marquet et Rouault. Aux
professeurs qui découvraient ce qu’il y avait déjà de révolutionnaire dans cet
essai il répondait : Laissez-faire, ses carafes sont bien
d’aplomb sur la table et je puis poser mon chapeau sur leur bouchons. C’est
l’essentiel. » (p. 82)
« Je
crois que la personnalité de l’artiste s’affirme par les luttes qu’il a
subies. » (sur les influences des
autres, p. 84).
Sur
son école : « Inutile de vous dire combien de mes élèves furent déçus
de voir qu’un maître, réputé révolutionnaire, pût leur répéter le mot de
Courbet : J’ai voulu simplement puiser dans l’entière connaissance de la
tradition le sentiment raisonné et indépendant de ma propre individualité. »
(pp. 85-86)
Entretien
avec Pierre Courthion, 1931
« Vous
êtes exceptionnel, un rare, un très rare artiste.
« Je
ne peux pas en juger. Cela se passe à mon insu : mais
pourquoi s’étonner de ne pas comprendre ? Il y a tant de choses en art, à
commencer par l’art lui-même, que l’on ne comprend pas. Un peintre ne voit pas
tout ce qu’il a mis dans le tableau qu’il a fait[5] ;
ce sont les autres[6] qui
découvrent un à un ces trésors, et plus une peinture est riche en surprises de
ce genre, en trésors, plus son auteur est grand. » (p. 90)
Entretien avec Tériade, 1929
« Par contre, une peinture purement intellectuelle[7]
est inexistante. » (p. 96)
« Très
souvent, ce qui fait la difficulté, pour un artiste, c’est qu’il ne se rend pas
compte de la qualité de son émotion et que sa raison égare cette émotion. Il ne
devrait se servir de sa raison que pour le contrôle. » (p. 100)
Propos
rapportés par Tériade, Minotaure, vol. I, n° 3-4, 1933
« Les
choses qu’on acquiert consciemment nous permettent de nous exprimer inconsciemment
avec une certaine richesse. D’autre part, l’enrichissement inconscient[8] de l’artiste est fait
de tout ce qu’il voit et qu’il traduit picturalement sans y penser. Un acacia
de Vésubie, son mouvement, sa grâce svelte, m’a peut-être amené à concevoir le
corps d’une femme qui danse.
Je
ne pense jamais en voyant une de les toiles aux sources d’émotion
qui ont pu
motiver telle figure, tel objet ou tel mouvement.» (p. 126)
« On
ne met pas d’ordre chez soi en se débarrassant de ce qu’on n’a pas, parce qu’on
ne crée ainsi que le vide, et le vide n’est ni l’ordre ni la pureté. » (p.
127)
Modernisme
et tradition, 1935
« « «Eh bien, que cherchez vous donc ? »
me demanda un jour mon maître Gustave
Moreau. « Quelque chose qui n’est pas au Louvre, mais qui est là »
ai-je répondu en montrant du doigt les péniches sur la Seine.
« Pensez-vous que les maitres du Louvre ne l’aient pas vu ? »
répliqua Gustave Moreau. En fait, ce que je voyais au Louvre n’agissait pas sur
moi de façon directe. Je m’y sentais comme dans une bibliothèque renfermant les
ouvrages du passé, et je voulais créer quelque chose à partir de ma propre
expérience. Aussi ai-je commencé de travailler seul. » (pp. 130-131)
P.S. Personnellement, j'aime trop la peinture de Matisse. Surtout cette fenêtre...
[1]
« Je ne dessine pas mieux aujourd’hui, je dessine autrement (cité dans Se garder libre, Paris, Éditions du
Cerf, 1962)
[2]
« … « Comment se fit votre éducation artistique ? »
J’étudiais dans les ateliers le matin et je copiais au Louvre l’après-midi.
Ceci pendant dix ans. – Monet est très grand, Cézanne recherche plus le
classique. Je n’aime pas du tout Raffaelli, Goya, Durer, Rembrandt, Corot,
Manet sont mes maitres favoris. Oui, je vais souvent au Louvre. C’est
l’œuvre de Chardin que j’étudie le plus.
Je vais au Louvre pour étudier sa technique. (MacChesney, 1913) »
[3]
« « Quel souvenir aves-vous de vos professeurs ? »
demandera-t-on à Matisse en 1942 – Un
seul compte parmi eux : celui de Gustave Moreau, qui a sorti parmi de
nombreux élèves quelques artistes authentiques. La grande qualité de Gustave
Moreau a été de considérer l’esprit d’un jeune élève comme devant subir un
développement continu pendant toute sa vie et non de le pousser à satisfaire
les différentes épreuves scolaires qui, même quand l’artiste a réussi au plus
grand des concours, le laissent aux environs de la trentaine avec un esprit
faussé, une sensibilité et des moyens tellement limités que s’il n’est pas
riche d’argent il n’a plus qu’à rechercher par un mariage l’aide d’une femme
représentative afin de poursuivre son chemin dans le monde (Premier entretien
radiophonique de 1942, cité dans Schneider, 1970). Sans nul doute
l’enseignement donné aux Beaux-Arts, et dont le couronnement et l’aboutissement
sont le concours de Rome, est mortel aux jeunes artistes – dira Matisse la
même année dans un second entretien radiophonique – Parce qu’il les pousse à l’imitation de la perfection sans rien
dedans ; et leurs tableaux me font penser aux poulets en carton qui sont
servis sur la scène de l’Opéra Comique. […] Parce que dépouillés de leur
instinct et de leur curiosité on rend les pauvres artistes
« infirmes » pour toujours à cette époque de la vie, qui de quinze à
vingt-cinq ans, engage la route. En somme, ce milieu Beaux-Arts Prix de Rome
est une société d’entraide mutuelle d’où il n’est jamais sorti rien de durable.
« Mais enfin, monsieur Matisse » lui demande son interlocuteur,
« comment l’état peut-il efficacement s’intéresser aux jeunes
artistes ? » - En créant des ateliers libres dans lesquels les jeunes
peintres pourraient se faire corriger par un maître de leur choix. D’autre part, au lieu de toute
exigence du prix de Rome et le soutien de l’État leur dispense dans les Salons,
ne pourrait-on pas donner des Bourses de voyage aux artistes qui allient des
dons évidents à un caractère solide, pour aller librement étudier à l’étranger,
dans nos colonies et même en France, partout où ils sentiront la possibilité de
se développer et de s‘enrichir (Schneider, 1970).
« A
l’étranger […] on s’étonne beaucoup de la médiocrité de l’enseignement donné à
l’École des Beaux-Arts » dira André Verdet à Matisse en 1952 – Il faut
des réactions. L’été a besoin de l’hiver. A l’École des Beaux-Arts on append ce
qu’il ne faut pas faire. C’est l’exemple de la chose à éviter. Comme ça et pas
autrement. L’École des Beaux-Arts ? Un truc pour fabriquer des prix de
Rome. Personne n’y croit plus. Elle n’existe que dans le milieu où elle vit
encore. Elle mourra toute seule. Il faudrait supprimer le séjour à l’École pour
un long séjour au jardin zoologique. Les élèves y apprendraient là, dans
l’observation constante, des secrets de la vie embryonnaire, des frémissements.
Ils y acquéreraient peu à peu ce fluide que les vrais artistes arrivent à
posséder (Verdet, 1952). » (note pp. 80-81)
[4]
« Gustave Moreau me disait :
« Vous n’allez pas simplifier la peinture à ce point là, la réduire à ça.
La peinture n’existerait plus. » - Et puis il revient et il me dit :
« Ne m’écoutez pas. Ce que vous faites est plus important que tout ce que je
vous dis. Je n’en suis qu’un professeur, je ne comprends rien » (Couturier,
1962). »
[5]
« …dans le tableau qu’il
signe ; ce sont les spectateurs (pas toujours, hélas, ses
contemporains !) qui… (Courthillon, 1934). »
[6]
« Le peintre donne des vérités premières
où le spectateur trouve, dans le domaine des idées, souvent plus que le
créateur n’y mit lui-même (Fels, 1929). Quand
une peinture est finie, c’est comme un nouveau-né, et il faut à l’artiste
lui-même du temps pour comprendre. Alors, comment peut-on attendre d’un amateur
qu’il comprenne ce que l’artiste ne comprend pas encore (Matisse speaks,
1933) … »
[7]
« Au retour d’une visite faite à Puteaux, lors de laquelle il avait admiré
la sculpture de Duchamp-Villon Le cheval
(C’est un projectile), Matisse ne put s’empêcher de redouter la montée de
l’intellectualisme en art. Son interlocuteur lui opposant Le coup de dés…, Matisse répondit : Mallarmé pouvait se permettre de telles choses (Pach, 1938). Pour moi, c’est la sensation qui vient en
premier, ensuite l’idée. Je vois un bouquet de fleurs, il me plait, je fais
quelque chose. (…) L’expérience m’a toujours donné raison (Escholier, 1956). Toute ma vie, je me suis guidé sur ce que
j’ai fait, pas sur ce que j’ai pensé (Couturier, 1962). »
[8]
« Jai vécu trois mois [à Tahiti],
absorbé par l’ambiance, sans idée devant la nouveauté de tout ce que j’y
voyais, anéanti, emmagasinant inconsciemment beaucoup de choses (Escholier,
1956) »
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