Matisse
Henri
Matisse
Écrits
et propos sur l’art, Hermann Éditeurs, 1972
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Suite -
Lettres
à Alexandre Romm
« Delacroix
disait qu’après avoir fait toutes les études qu’on sent nécessaires en vue d’un
tableau, il fallait s’y mettre en s’écriant : « Et maintenant, tant
pis pour les fautes ! » C’est-à-dire qu’il faut laisser parler
l’instinct. » (p. 149, octobre
1934)
Divagations
(Verve, vol. I, n° I, décembre 1937)
« (…)
professeurs exigeants mais peu clairs, et il ne m’en est rien revenu avec le
temps. Mais aurais-je compris davantage si ces maitres avaient été
authentiques ?
(…)
Un
atelier d’élèves me rappelle La parabole des aveugles de Breughel dans
laquelle ce serait le professeur, premier aveugle, qui conduirait ceux qui le
suivent.
Michel
Bréal disait : un professeur est un homme qui enseigne ce
qu’il ne sait pas (rapporté par son fils Auguste).
(…)
Renoir
avait donc raison de dire : Celui qui ne sait pas, après l’avoir
retournée trois mois contre le mur, trouver ce qui manque dans sa toile n’a pas
besoin de faire de peinture. » (p. 158)
Notes
d’un peintre sur son dessin (Le point, n° 21, juillet 1939)
« …
il m’était nécessaire d’oublier le métier des Maitres ou plutôt de le
comprendre, d’une manière toute personnelle. N’est-ce pas la règle de tout
artiste de formation classique ? » (p. 159)
« Avant
tout, je ne crée pas une femme, je fais un tableau.
(…)
En résumé, je travaille sans théorie. J’ai seulement conscience des forces que j’emploie et
je vais, poussé par une idée que je ne connais vraiment qu’au fur et à mesure
qu’elle se développe par la marche du tableau. Comme disait Chardin : J’en remets (ou j’en retire, car je
gratte beaucoup) jusqu’à ce que ça fasse
bien. » (p. 163)
« L’exactitude n’est pas la vérité » (p. 172, titre
de la préface d’un catalogue)
Jazz
(Notes, Paris, Tériade, 1947)
« Pourquoi
après avoir écrit : « Qui veut se donner à la peinture doit commencer
par se faire couper la langue[1] », ai-je besoin
d’employer d’autres moyens que ceux qui me sont propres ? » (p. 235)
« Un musicien a
dit :
En
art la vérité, le réel commence quand on ne comprend plus rien à ce qu’on fait,
à ce qu’on sait, et qu’il reste en vous une énergie d’autant plus forte qu’elle
est contrariée, compressée, comprimée. Il faut alors se présenter avec la plus
grande humilité, tout blanc, tout pur, candide, le cerveau semblant vide, dans
un état d’esprit analogue à celui du communiant approchant de la Sainte Table.
Il faut évidemment avoir tout son acquis derrière soi et avoir su garder la
fraicheur de l’Instinct. » (p. 238)
Propos
rapportés par Louis Gillet, février 1943 : « J’ai été frappé par
l’exemple du vieux Renoir. J’allais le voir à Cagnes. Dans les dernières années
de sa vie, ce n’était plus qu’un paquet de douleurs. On le portait dans son
fauteuil. Il y tombait comme un cadavre. Il avait les mains bandées, des doigts
comme des racines, tellement tordus par la goutte qu’il était incapable de
tenir un pinceau. On lui passait dans son pansement le manche d’une brosse. Les
premiers mouvements étaient si douloureux qu’ils lui arrachaient une grimace.
Au bout d’une demi-heure, quand il était en train, le mort ressuscitait :
je n’ai jamais vu d’homme si heureux. Et je ne suis promis qu’à mon tour je ne
serais pas un lâche. » (p. 290)
À
André Rouveyre, 6 octobre 1953 : « Je n’y ai absolument rien fait (il
faut rudement de courage pour ne rien faire). » (p. 298)
Entretien
avec Léon Degand, 1945
« Sans
doute, il faut peindre comme on chante, sans contrainte. L’acrobate exécute son
numéro avec aisance et une apparente facilité. Ne perdons pas de vue le long
travail préparatoire qui lui a permis d’atteindre ce résultat. Il en est le
même en peinture. La possession des moyens doit passer du conscient à
l’inconscient par le travail, et c’est alors que l’on arrive à cette impression
de spontanéité. » (p. 300)
Il
faut regarder toute la vie avec des yeux d’enfants (propos recueillis par
Régine Pernoud, Le Courrier de l’U.N.E.S.C.O., vol. VI, n° 10,
octobre 1953)
« Créer,
c’est le propre de l’artiste ; - où il n’y a pas création, l’art n’existe
pas. Mais on se tromperait si l’on attribuait ce pouvoir créateur à un don
inné. En matière d’art, le créateur authentique n’est pas seulement un être
doué, c’est un homme qui a su ordonner en vue de leur fin tout un faisceau
d’activités, dont l’œuvre d’art est le
résultat. C’est ainsi que pour l’artiste, la création commence à la vision.
Voir, c’est déjà une opération créatrice, et qui exige un effort. (…) L’effort nécessaire pour s’en dégager [des
images tout faites : publicité, etc.] exige une sorte de courage ; et
ce courage est indispensable à l’artiste qui doit voir toutes choses comme s’il
les voyait pour la première fois : il faut voir toute la vie comme lorsqu’on
était enfant ; et la perte de cette possibilité vous enlève celle de vous
exprimer de façon originale, c’est-à-dire personnelle. » (p. 321)
« Créer,
c’est exprimer ce que l’on a en soi. Tout effort authentique de création est
intérieur. Encore faut-il nourrir son sentiment, ce qui se fait à l’aide des
éléments que l’on tire du monde extérieur. Ici intervient le travail, par
lequel l’artiste s’incorpore, s’assimile par degrés le monde extérieur, jusqu’à
ce que l’objet qu’il dessine soit devenu comme une part de lui-même, jusqu’à ce
qu’il l’ait en lui et qu’il puisse le projeter sur a toile comme sa propre
création. » (p. 322)
« L’œuvre d’art
est ainsi l’aboutissement d’un long travail d’élaboration. L’artiste puise
autour de lui tout ce qui est capable d’alimenter sa vision intérieure,
directement, lorsque l’objet qu’il dessine doit figurer dans sa composition, ou
par analogie. Il se met ainsi en état de créer. Il s’enrichit intérieurement de
toutes les formes dont il se rend maître, et qu’il ordonnera quelque jour selon
un rythme nouveau. » (p. 322)
[1]
« Parole prononcée notamment lors du premier entretien radiophonique de
1942 (cf. supra p. 190). Pierre Courthion également rapporte que
Matisse déclara à un débutant venu lui demander conseil : Vous voulez faire de la peinture ?
Commencez alors par vous couper la langue, car désormais vous ne devez vous
exprimer qu’avec vos pinceaux (Courthion, 1942)
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