Kubin


En théorie je dois faire un plan de thèse jusqu’à mi février. En pratique, cela me semble presque impossible… Mais je peux faire une liste des choses que je sais et qui guident la recherche.

Qu’est-ce qu’on sait sur l’art de faire des artiste ou l’autocréation du créateur ? Maintenant je dois ignorer mes connaissances d’artistes parce que je ne suis plus mon propre terrain, mais il y a une sorte de constante que je devrais organiser dans une grille. Bon, deux constantes : 1) on n’apprend pas à être artiste = l’école ne sert à rien ; 2) la création se fait à un niveau hors conscience.

Cette idée sur l’école qui ne sert à rien, enfin, qui ne crée pas des artistes me semble liée à la modernité. Dans le traité de la peinture de da Vinci il y a une multitude de conseils aux jeunes peintres qui se réduit pratiquement au nulle dies sine linea, travailler, observer, étudier en plus de conseils pratiques sur comment peindre des enfants, des batailles, paysages et vieux, etc. J’ai donc l’impression qu’on ne parle de création que depuis fin dix-neuvième siècle… Et la raison doit être très simple : on a eu la photographie ! Du coup, avec ce moyen de reproduire la réalité on n’a plus tellement besoin du savoir-faire de quelqu’un pour avoir un portrait, un paysage, etc. Il y a toujours un contexte. On dit que l’impressionnisme (ou la peinture en plein-air, en tous cas) a pu naitre grâce à Winsor Newton qui a commencé à mettre la peinture à l’huile dans des tubes facilement transportables… Il y a toujours un savoir faire, mais je me demande à quel moment l’artiste a commencé à créer ? A quel moment est-il devenu un mythe entouré de cette aura qu’on a jusqu’à maintenant ? Qans est-ce que l’artiste a commencé à être considéré un génie ? Avec Michel Ange le Divin ou van Gogh le martyre ? Il y a eu aussi Rembrandt l’extravagant, Caravage le scandaleux assassin, Goya le sourd fou… Puis tous ce joli baroque et le beau classicisme… Et il n’y a que maintenant qu’un artiste peut faire absolument ce qu’il veut et comme il le veut : une figure ne doit plus ressembler à une figure mais rappeler vaguement l’Humain dans son expression et le reste ne reproduit que des sensations et des sentiments. L’art conceptuel travaille avec l’idée à travers de laquelle il peut dénoncer, par exemple ou montrer toujours la vie (interne ou externe). Mais maintenant, il me semble que l’artiste commence à s’éloigner de plus en plus du mythe créateur et se revendique en professionnel avec des droits et rémunération. Ce qui est bien, mais c’est le même mythe qu’on charge (on a, plutôt) qui empêche que ce réel soit pris en compte : comment ou pourquoi payer quelqu’un qui produit des choses pour son propre plaisir et à cause d’un besoin incontrôlable ? Comme si l’art perdrait de cette aura mystique s’il a une valeur monétaire (ça va pour l’œuvre  des artistes morts, mais les vivants semblent plus artistes en martyre qu’en bourgeois… )

Enfin, revenons à nos moutons. Malevitch est très intéressant mais il donne facilement la migraine (ou c’est décembre tout simplement ?) et je préfère lire un petit bouquin trouvé par hasard dans une librairie lyonnaise spécialisé en art : Alfred Kubin, Le travail du dessinateur. Un petit bijou plein de témoignages de cet graphicien dont on connaît assez bien l’œuvre  et un peu moins le nom.  Le rêve, les souvenirs et les sensations guident sa main…

Alfred Kubin, Le travail du dessinateur, éditions Allia, 2015
« L’homme n’est donc qu’un spectre de la véritable personne qui, elle, se tient au plus profond. » (p. 11, Préface aux nouveaux rêves de Friedrich Huch, 1921)

La libération du joug. (1922)
« C’est cette conscience particulière, positivement rationnelle et calculatrice qui chasse et perturbe les créateurs qui se forment dans le rêve et provoque en nous des résistances et douleurs de toute sortes. » (p 20)
« La vie de la pensée, bienfaisante lumière, devient le point faible de l’homme dès qu’il en étend démesurément le domaine d’activité et s’en sert pour faire des calculs au moyens de concepts vides. » (p. 23)

Le dessinateur (1922)
Sur la capacité à créer des formes de l’artiste et qui, chez lui est :
« …inégale, indomptable, elle vient à ses heures. Plus violente est l’impulsion, plus elle me force à me décharger du cauchemar de la vision en lui donnant forme : on peut passer des jours entiers avant de trouver comment retenir au mieux l’image obscure ; parfois on sort du plus profond des sommeils avec une solution inattendue. (…)
« Je ne suis pas du tout d’avis qu’étudier inlassablement les œuvres des anciens et des nouveaux maitres de l’art du dessin soit susceptible d’apporter quelque chose à sa propre originalité. On est original de naissance et celui qui doit s’efforcer de le devenir dispose pour cela de trop peu de temps. (…) Un Rembrandt, un Durer nous élèvent par leur inconcevable perfection mais ils découragent aussi la création personnelle. » (p. 38)
Le dessinateur (Kubin était un dessinateur, pas un peintre) « réjouit de la simplicité de son art », invente, « discipliné, éduque son œil  et sa main et son caractère jusqu’à concevoir progressivement cette grâce et cette innocence céleste qui peuvent tout faire comprendre avec quasiment rien. (…) Mais dominer librement le flot de ses rêves les plus inquiétants et les soumettre, dociles, à sa puissance, est le véritable sens de cet art qui donne à entendre la mélodie intime de la vie de son maître  jusqu’au moment où l’outil échappe à sa main. » (p. 41)


Confessions (1924)

« L’artiste n’est qu’un des innombrables relais de l’imagination [Einbildungskraft]  divine. » Note d’en bas de page du livre : « C’est l’opposition entre de l’imagination, l’ Einbildungskraft et la Phantasie, qui gouverne cet article. L’Einbildungskraft est la puissance de mettre en forme, l’imagination productrice et spontanée par opposition à cette imagination simplement reprodutrice et réceptive qu’est la Phantasie qui, elle, reste ordonnée à la présence d’un objet d’intuition. » (p. 42)
« Pour se perfectionner, il faut s’abandonner au pouvoir jaillissant de l’être d’une manière non seulement active mais aussi en le subissant et en l’expérimentant, c’est-à-dire en se laissant entièrement imprégner par le fond même de l’imagination divine. On découvre alors tout le mystère de l’origine, toute la magie du moment. L’outil comme la matière s’animent automatiquement pour l’artiste s’il s’abandonne en toute confiance à la force élémentaire qui lui a donné naissance. En méditant à partir de cette force, en la reconnaissant, les œuvres prennent forme sans problème et l’artiste capte dans son miroir des visions oniriques qui peuvent le rendre vraiment heureux. Qu’il achève ainsi sa vie, à la fois créateur et créature. Dans la confusion du monde, l’art nous garantit le miracle de la parenté intérieure avec le divin. » (pp. 42-43)

Frankenstein, évidemment : créateur et créature. Toute ma sympathie avec la création-créature…  Cet écrit, mythe moderne du Prométhée est interprétable jusqu’à l’infini : il offre toutes les possibilités. Je préfère penser que le créateur et la créature ne font qu’un et que la création (parfaite, imparfaite, monstrueuse, qui se forme et évolue, peu importe) accapare et peut finir son créateur. Victor Frankenstein était torturé par sa créature-création même avant qu’elle prenne forme : une année enfermé à penser maladivement et obsessionnellement et à inventer la manière de donner vie… Une fois cela fait, sa création fait tout pour le détruire. Un artiste aussi peut être tourmenté par son œuvre – avant, pendant et après. Dans le roman c’est clair : avant – comment le faire ? pendant – la peur, qu’est-ce que j’ai fait ? et après – comment survivre ma propre création qui veut me détruire et tue autour de moi ? La création demande sacrifice, elle veut le créateur que pour elle… Bien sûr, tout ça n’est qu’une idée très romantique et rare de la création. Le créateur peut passer plus de temps dans la part maudite en se demandant d’où et comment faire de l’argent pour vivre. C’est un autre monstre celui-là, celui qui peut couper les ailes et dévorer créateur et créature ensemble. Sans problème.

Kubin, à suivre.









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