Picasso.
Ce n’est pas mon peintre préféré. Il m’agace un peu
et il n’y a pas d’œuvre de Picasso qui
me touche vraiment, à différence de Bonnard, par exemple. Mais c’est
Picasso : l’homme qui a changé l’art du XXème siècle…
J’ai entre mes mains « Picasso. Propos Sur
l’art », édition de Marie-Laure Bernadac et Androula Michael, Gallimard,
1998 qui compile les perles de monsieur le peintre. Le début est parlant (façon
de dire) : « Les autres parlent, Moi, je travaille. », « Nous faisons de la peinture. Nous ne sommes pas des
fabricants de vérités et de maximes… » - « Et
pourtant malgré cette déclaration, Picasso parle, ou plutôt dit beaucoup.
Certes il n’a jamais écrit, comme nombre de ses confrères, de textes théoriques
sur son travail, à l’exception de quelques lignes manuscrites dont la
célèbre : « La peinture est
/ plus forte que moi
/ elle me fait faire / ce
qu’elle veut. » ». (p. 5) Ce qui me frappe
à la première vue c’est ce Moi avec majuscule. Eh… qu’est que je peux
dire ? C’est Picasso. Majuscules partout.
Quand je lisais ce livre, il m’irritait parce qu’il
a une voix et une présence. C’est du parlé ici, pas de l’écrit et c’est un type
avec une voix forte et une présence écrasante. Jovial aussi. En fait c’est comme
un monsieur qui te donne une leçon… Il te dit des vérités. Comme
celle-ci : « L’art est un mensonge qui nous fait comprendre la
vérité, du moins la vérité qu’il nous est donné de pouvoir comprendre. » (p. 17 Lettre sur l’art, 1926)
« C’est la main qui fait tout, souvent
sans l’intervention de la pensée » (p. 26, 1926) A prendre
métaphoriquement, mais c’est le non-savoir qui est à l’œuvre .
« Et l’on devrait crever les yeux aux
peintres comme l’on fait aux chardonnerets pour qu’ils chantent mieux. » (27, 1932) Idem. Non-savoir. à non-voir = voir différemment. Voir au-delà du voir. Voir Blanchot et son Ecriture du désastre sur le fait d'écrire.
« Le peintre subit des états de
plénitude et d’évacuation. C’est là tout le secret de l’art. je me promène dans
la foret de Fontainebleau. J’y attrape une indigestion de vert. Il faut que
j’évacue cette sensation sur un tableau. Le vert y domine. Le peintre fait de la peinture, comme un
besoin urgent de se décharger de ses sensations et de ses visions. » (p. 35, 1935) C’est une bonne explication pour des idiots.
Mais souvent, c’est de ça qu’on a besoin : une illustration simple. Il ne
se trompe pas, mais c’est une présentation bien trop simple. Il y a une
évacuation, mais c’est un processus plus complexe. Le même pour l’accumulation
de choses à évacuer.
« La façon de peindre d’un peintre,
c’est comme son écriture pour les graphologues. C’est l’homme entier qui est
dedans. Le reste, c’est de la littérature, l’affaire des commentateurs, de la
critique. Cela ne regarde plus le peintre. » (p. 57, 1946)
« Pourquoi, au fait, deux couleurs
mises l’une à côté de l’autre chantent-elles ? Peut-on expliquer cela
vraiment ? Non. De même qu’on ne pourra jamais apprendre à peindre… » (Idem)
« Ce qu’on apprend par exemple à
l’école des Beaux-Arts, c’est uniquement le métier manuel et non la peinture.
De la même façon qu’on apprend à fabriquer les sabots… Et encore, les sabots
fabriqués par un de ces élèves, on ne pourrait jamais les porter ! » (p. 58, idem)
Picasso, entretien au sujet des femmes d’Alger,
1955 :
« On ne sait jamais ce que l’on va
faire[1]. On commence un tableau et ça devient quelque chose de
tout à fait différent. C’est curieux
combien le vouloir de l’artiste compte peu. C’est embêtant : on a
toujours à côté de soi un amateur qui
vous dit : « Je n’aime pas ça. » Ou : « Ce n’est pas
comme ça que ça devrait être. » Il s’accroche aux pinceaux qui deviennent
lourds, lourds… Il n’y connaît rien, mais il est toujours là. Il avait bien
raison, l’autre, quand il disait : « Je est un autre. » » (p. 72) !!!!! Relier à l’identification ? L’autre est
soi-même à la fin, c’est un autre en soi. Auto anthropophagie ?
Dédoublement ? Inconscient ?
Entretien de 1946
« Il faut se salir pour faire quelque
chose. Il faut se trainer dans la boue. » (p. 87)
Fragments du livre Brassaï. Conversations avec
Picasso, 1964 :
« Sans doute existera-t-il un jour, une
science, que l’on appellera peut-être « la science de l’homme », qui
cherchera à pénétrer plus avant l’homme à travers l’homme-créateur… Je pense
souvent à cette science, et je tiens à laisser à la postérité une documentation
aussi complète que possible… Voilà pourquoi je date tout ce que je fais. » (p. 105 (p. 123 dans le livre de Brassaï)) Merci, Pablito. Dater ne
sert pas à grande chose, mais cette science… oui ! ça devrait exister. Je
doute un peu à l’utilisation du mot « science », mais faute de mieux…
Et c’est ça que j’essaie de faire ici : « pénétrer plus avant
l’homme à travers l’homme-créateur ». (p. 105)
Idem, sur les idées :
« Je n’en sais rien… Les idées ne sont
que de simples points de départ… C’est rare que je puisse les fixer telles
qu’elles viennent à mon esprit. Aussitôt que je me mets à travailler, d’autres
surgissent sous ma plume… Pour savoir ce qu’on veut dessiner, il faut commencer
à le faire… » (p. 113)
« On ne peut vraiment suivre l’acte
créateur qu’à travers la série de toutes les variations. » (p. 114)
Fragments de : Françoise Gilot et Lake Carlton,
Vivre avec Picasso :
« C’est le mouvement de la peinture qui
m’intéresse, l’effort dramatique d’une vision à l’autre, même si l’effort n’est
pas poussé jusqu’au bout. […] J’ai de moins en moins de temps, et de plus en
plus à dire. J’en suis arrivé au moment, voyez-vous, où le mouvement de ma
pensée m’intéresse plus que ma pensée elle-même. » (p. 117, 116 dans l’original)
« Pendant que je travaille, je laisse
mon corps à la porte, comme les musulmans enlèvent leurs chaussures avant
d’entrer dans la mosquée. Dans cet état, le corps existe de façon purement
végétative, et c’est pourquoi nous, les peintres, vivons généralement si
longtemps. » (p. 117, 106 original) Est-ce que qu’on laisse aussi le cerveau à la
porte ? Alors qu’est que travaille ?
« Pour moi, peindre un tableau c’est
engager une action dramatique au cours de laquelle la réalité se trouve
déchirée. Ce drame l’emporte sur toute autre considération. L’acte plastique n’est
que secondaire, en ce qui me concerne. Ce qui compte, c’est le drame de l’acte
lui-même, le moment où l’univers s’échappe pour rencontrer sa propre
destruction. » (p. 119, 49 original) Parfait !!!
« Eh bien, dit-il, Léger a toujours
prétendu que « la peinture est comme un verre de gros rouge », vous
savez pourtant comme moi que tous les peintres n’en boivent pas. Ils peignent
aussi avec autre chose que cela, naturellement ! Léonard de Vinci était à
mi-chemin de la vérité quand il écrivait que la peinture est chose mentale. Cézanne, lui, osa
affirmer, qu’ « on peint avec ses couilles ». Personnellement,
je crois que la vérité, c’est Léonard de Vinci, plus Cézanne. Mais, en tout cas, le gros rouge ne suffit pas. » (p. 120, 267 or.) Pour moi,
c’est plus les couilles (métaphoriques, sinon on élimine la possibilité de
création aux femmes !). Je pense que Picasso (+ Cézanne) se réfèrent à une
question viscérale, très sentie, presque animalesque plus qu’au fait d’
« avoir des couilles » : être courageux, ne pas avoir peur,
risquer. Léonard de Vinci était plus un savant qu’un peintre et ça se voit dans
son traité sur la peinture.
«J’ai voulu être peintre, et je suis devenu
Picasso ! » (p. 124, 50 or.)
« Depuis Van Gogh, nous sommes tous des
autodidactes – on pourrait presque dire des peintres primitifs. La tradition
ayant elle-même sombré dans l’académisme, nous devons recréer tout un langage.
Et chaque peintre de notre temps est habilité à recréer ce langage de A à Z. On
ne peut lui appliquer aucun critère à priori, puisque les règles fixes n’ont
plus cours. D’un certain point de vue, c’est une libération, mais c’est en même
temps une limitation terrible : quand l’artiste commence à exprimer sa
personnalité, ce qu’il gagne en liberté, il le perd en ordre, et c’est très
mauvais de ne plus pouvoir s’attacher à une règle. » (p. 126, 67 or.) Ça c’est très important sur la
formation-devenir de l’artiste : l’académie n’existe plus, mais je dirais
que c’est la photographie qui a fait ça. Avec la photo, ou à cause d’elle,
l’artiste n’a plus la fonction de documenter (portraits ou paysages qui doivent
ressembler absolument à l’original). Donc à partir de ce point il ne reste que
la création… hello, impressionnisme et autres ismes ! Création qui c’est
tellement dépurée que l’œuvre commence
même à s’abstraire d’elle même. Picasso n’a pas vécu suffisamment pour voir
qu’est-ce qui se passe actuellement : il n’y plus aucune règle, trop de
liberté et l’art en souffre. Peut-être l’art ne souffre pas, tout simplement,
comme à chaque époque, il y a de bons et de mauvais artistes…
Fragments de : Renato Guttuso, Journal inédit,
1973
« R. G. : Mais il faudrait être du
côté du condamné. Il n’y a pas de tableaux où le peintre n’est pas du côté du
martyr.
Picasso : Il n’y en a pas,
mais on pourrait en faire. » (p. 128, 110 or.)
???
« Picasso : La peinture se fait
simplement, sans cultiver des idées sur les tableaux.
R. G. : Le peintre peint
les choses, non les idées.
Picasso : Oui, et si le peintre a des idées, elles
transparaissent à travers sa manière de peindre les choses. » (pp. 128-129, 111-112 or.)
Exactement, vive le non-savoir !
To be continued, señor Picasso m’a fatigué…
[1]
Beaucoup d’artistes disent ça (cf. Bacon). Soit c’est vrai, soit ça fait partie
de notre école : on répète les autres.
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