Cuisine


Il me semble que la cuisine risque de remplacer l'art. Au moins, d'avoir le même importance. Du moment que les grands chefs (ou critiques) vont solutionner le problème du musée... 

En tout cas c’est sûr que maintenant le monde la haute cuisine se comporte comme le monde des beaux-arts (attention, non pas arts tout simplement !) et parle et fait création.
C’est vrai que la cuisine est une de mes passions. Pas exactement le fait de préparer le déjeuner-diner chaque jour, mais d’expérimenter, de créer du nouveau. Mes moyens et connaissances sont extrêmement limités et je ne fais pas de l’art à la cuisine (je suis une maman), mais j’essaie de suivre… à la télé.

J’ai appris à cuisiner avec un livre, ce qui a fait que je me sente à l'époque plus à l’aise avec la pâtisserie qu’avec des plats salés. La pâtisserie demande  le suivi de la recette : les ingrédients sont pesées, sont mélangés dans un certain ordre et cuits un certain temps à certaine température. Donc, un idiot qui sait lire pourrait réaliser une recette de gâteau (une recette bien expliquée, bien sûr). Par contre les légumes, la viande… la pincée de sel si ambiguë et la cuisson qui ne dépend pas vraiment d’un temps précis mais de la connaissance. Connaissance-expérience qui te dit si la viande est à point ou saignante. Enfin, j’ai appris en faisant des petits désastres (plats brulés, trop salés, crus, etc.) – essai et erreur. A côté de l’apprentissage par l’expérience, j’ai collectionné des livres et là je découvre que la nourriture n’est pas un simple combustible pour le corps et un plaisir immédiat pour le cerveau (sucre et graisse), mais une esthétique. Les photos des plats des grands chefs sont, visuellement au moins, des œuvres d’art.






L’esthétique n’est pas seulement visuelle : quand on analyse un plat (durant ces grands concours télé) il y a des mots qui reviennent : composition et créativité. La composition est, on peut dire, ce qui soutient l’œuvre  d’art. Un compositeur arrange des sons et des silences sur une durée temporelle. Un peintre arrange formes et couleurs sur une surface. Un sculpteur fait le même dans un espace tridimensionnel. La musique me semble être l’art le plus sublime à cause de son abstraction et immatérialité, mais la cuisine (la haute cuisine moderne qui rompt avec toutes les conventions) semble être l’art le plus complet. Après le visuel (art plastique) elle engage tous les autres sens. Les odeurs qui réveillent des couches profondes du cerveau. Sons. Textures. Gout. Et la création de cette composition  qui a un équilibre visuel de formes et couleurs devient plus complexe qu’un tableau : il faut pouvoir équilibrer salé-sucré-acide-amer-umami, textures (croquant-mou-dur), gout (fruité-terreux-etc.), température, etc. L’ouïe aussi est engagée au moment qu’on croque un croustillant… Tout est là ! C’est une sensation complète. Mais ce qui sépare cette haute cuisine des beaux-arts c’est que même si un plat est une création parfaite, il a une recette… Et une recette implique que la création peut être répliquée à l’infini. Donc, il y a une part essentielle dans ce type de création qui la tient éloignée de ce que rend un objet esthétique art. Puis la validation. Pas de musée pour eux. Si dans mon domaine je ne peux pas posséder physiquement un Rembrandt, je peux l’apprécier au musée pour un cout modique. Mais je dois être riche pour pouvoir gouter les créations de Grant Achatz ou de Ferran Adrià. Bon c’est vrai aussi que je dois avoir des moyens pour pouvoir arriver dans une grande capitale et visiter de grands musées, mais là je peux voir beaucoup de chefs d’œuvres. Au moins on est toujours dans une sorte de production pour des élites.

Pourquoi dis-je que les cuisiniers pourraient nous détrôner ? Nous, les artistes, on perd de plus en plus le savoir-faire et le respect pour notre art. On pense qu’on n’a plus besoin de savoir les bases du métier. C’est comme si l’on s’engageait directement dans la cuisine moléculaire sans avoir appris à bien cuire un œuf ou faire une petite soupe. On va directement au « 15 textures, 2 aromes et un insecte » ou vers un pot-au-feu déconstruit et servi au dessert. On va directement à poser un tas de quelque chose dans un musée sans savoir dessiner un  portrait. Un peu d’humilité nous irait bien. 

Puis, la critique. On ne critique plus les artistes plasticiens. On est une sorte de vaches sacrées qui n’ont pas de retours constructifs, juste une fermeture de portes. On ne peut pas avoir de concours parce qu’on ne peut plus juger une œuvre  d’art tandis qu’elle devrait être jugée de la même manière qu’un plat. Hier je regardais la finale du «  The final table » où le prix consistait tout simplement en pouvoir être compté parmi les plus grands chefs du moment et j’étais très attentive à la délibération du jury. Jury qui prenait en compte tout : créativité, création, esthétique, innovation, technique, gout – composition. Alors, l’art plastique d’aujourd’hui devrait reconsidérer ses critères et ne pas se cacher derrière le sublime. Une pomme de terre est-elle sublime ? Oui et non. Elle a besoin, en plus d’un concept, d’une technique solide qui la fasse surpasser sa condition de pomme de terre commune. L’art devrait créer moins de « Cloaca [1]» et plus d’œuvres qui méritent ce nom.


“People like to think the creative process is romantic. The artist drifts to sleep at night, to be awakened by the subliminal echoes of his or her next brilliant idea. The truth, for me at least, is that creativity is primarily the result of hard work and study.”Grant Achatz (Chef / Owner : https://alinearestaurant.com/site/people/)








Images choisies du site du restaurant Alinéa de Chicago. Chef: Grant Achatz

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