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« Et ce n’était pas un malentendu. Il était réellement mort et même temps repoussé de la réalité de la mort. Il était, dans la mort même, privé de la mort, homme affreusement anéanti, arrêté dans le néant par sa propre image, par ce Thomas courant au-devant de lui, porteur de flambeaux éteints et qui était comme l’existence de la dernière mort. Déjà, alors qu’il se penchait encore sur ce vide où il voyait son image dans l’absence totale d’images, saisi par le plus violent vertige qui fût, vertige qui ne le faisait pas tomber, mais qui l’empêchait de tomber et qui rendait impossible la chute qu’il rendait inévitable, déjà la terre s’amincissait autour de lui, et la nuit, une nuit qui ne répondait plus à rien, qu’il ne voyait pas et dont il ne sentait la réalité que parce qu’elle était moins réelle que lui, l’environnait. Sous toutes les formes, il était envahi par l’impression d’être au cœur des choses. Même à la surface de cette terre où il ne pouvait pénétrer, il était à l’intérieur de cette terre dont le dedans le touchait de toutes parts. De toutes parts la nuit l’enfermait. Il voyait, il entendait l’intimité d’un infini où il était enserré par l’absence même de limites. Il sentait comme une existence accablante l’inexistence de cette vallée de la mort. » (Blanchot, pp. 40-41)
Ça, c’est Thomas L’obscur et c’est aussi la création. Évidemment,
on remplace « mort » par peinture… Et, aussi évidemment, il s’agit d’un moment
de la création parfaite. Et, encore plus évidemment, c’est mon point de vue.
Mon point avec Maurice Blanchot c’est que la création, en
tant que moment parfait est crise. Elle fait des dégâts en même temps qu’elle
sublime et élève. Si c’est un moment parfait, elle a l’air de cette description
que fait Blanchot. Si elle ne l’est pas (et c’est le cas le plus fréquent), le
moment créateur est frustrant. Donc si on parle de crises et tournants de vie,
épiphanies et autres je me sens perdue. Je comprends, intellectuellement, qu’une
crise bouleverse profondément et en est soit l’opportunité pour un changement
soit un moment qui ne mène qu’à la dépression. Mais, « Pour Berger et Lückmann, la crise constitue aussi et avant tout un
changement de “réalité”. » (p. 8) et « Pour définir la “réalité”, les auteurs se réfèrent à la vie
quotidienne. Celle-ci “se présente elle-même comme une réalité interprétée par
les hommes et possédant” (p. 8).
La réalité n’est pas seulement le quotidien. C’est tout
simplement ce qui est plus palpable. Visible. On la sent comme réelle cette “existence
accablante l’inexistence”.
Pour moi, une épiphanie est plus de l’ordre du spirituel. Une
révélation, oui. Un peu moins “moment
d’expérience problématique qui illumine le caractère personnel, et souvent
signifie un tournant de la vie d’une personne” (Denzin N., 1989a., p. 141). »
(Lesourd, p. 14)
C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de ne pas
participer sur le forum : quand je lis qu’une épiphanie est une « révélation, mais spécifiquement rapportée à
une perspective existentielle dont elle marque un tournant. Les épiphanies, dit
Denzin, “ont le potentiel de créer des expériences de transformation (…) Après,
la personne n’est plus vraiment la même” (p. 15). Ou encore, ce sont des “expériences
de vie qui forment et altèrent la signification que les personnes se donnent à
elles-mêmes et à leurs projets de vie” (p. 14). » (Lesourd, p. 14),
je commence à remémorer quelles ont été les épiphanies et les crises qui m’ont
marqué et qui m’ont changé. J’ai cherché en moi et… ce qu’on pourrait appeler
communément une crise, je ne me rappelle pas. Mais il me vient toujours à la
mémoire des moments qui, en apparence, n’ont rien d’extraordinaire. Les
histoires de vie, hospitalisations, la naissance de mes enfants, la mort de mon
père et son enterrement, l’immigration en France puis à l’autre bout de monde,
en Équateur je ne les sens pas en tant que… Enfin, oui, ce sont des tournants
de vie et surement ils travaillent au fond, mais…
Donc je pense quelles ont été mes épiphanies. À 15 ans, le
moment où j’assisté à la Cantatrice chauve dans un petit théâtre de Chisinau.
L’absurde a été libérateur. La lune. Le papier journal dans la rue. Kieffer en
vrai. J’ai vu à Fidel Castro de très-très près. J’ai laissé tomber à Joyce
quand il ne me restait qu’une cinquantaine de pages. Et j’ai lu à Garcia
Marquez en espagnol et c’était comme respirer. J’ai vu un volcan en éruption. Je
sais que l’Amazonie a une odeur comme aucun autre endroit de la planète. À
feuilles pourries comme en automne, mais en plein été et comme dans un sauna. Etc.
Et chaque dessin et chaque tableau est
une épiphanie…
Alors je suis faite de petits moments insignifiants en
apparence et qui sont plus de l’ordre du sensoriel et qui t’enveloppent,
t’attrapent. Je me demande si les autres ont ce genre de sensations où tu es
dedans sans l’être. « Il retrouvait le
souffle dans l’asphyxie. » (Blanchot, p. 42)
Crise, crise. Dans la création et dans la vie. Ce que je veux
dire que mes « épiphanies » ne sont pas traumatisantes, mais marquantes. Même
si au fond je rends compte qu’elles peuvent être des recouvrements. Et aussi
une sorte de question : si la création est crise, avec le deuil et le rêve
est-ce que c’est une crise différente des crises de la vie, du quotidien, de la
« réalité » ? Sépare-t-on les choses ou l’on se défoule à l’atelier ? On oublie
les problèmes de la « réalité » et on crée en faisant travailler des épiphanies ?
Ou être dans ce travail de création est une épiphanie en soi ?
Je me penche pour la dernière. Mais tout est là,
dans la tête, dans l’esprit. Tout te transforme, te travaille, te détruit et te
crée. Ce n’est pas seulement un divorce ou une mort qui te fait changer quelque
chose, c’est tout. Mais ça, c’est moi. Parce que je sais qu’il n’y a pas une
vérité et que tout bouge, tout change… ça doit être la raison pour laquelle je
m’éloigne facilement du côté formatif dans ma recherche : pour moi, ça,
c’est une évidence.
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