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Aujourd’hui, une histoire.
Qui illustre très bien ce que j’ai cru comprendre
en relation au mythe personnel. Mais comme je suis légèrement
péripatétique, ma pensée se promène entre idées, histoires, anecdotes, vies et
essaie de se rapprocher à quelques concepts.
Ainsi, si toute personne se forge une sorte de mythe
personnel depuis son enfance qui, si je ne me trompe pas, revient à ce que l’on
appelle « identité ». Mais pour un artiste, il me semble que cette affaire
mythologique est d’autant plus exacerbée à cause de cette aura qui entoure « l’artiste ».
Comme Van Gogh, par exemple. Le type maudit, à qui l’art lui sort par les pores
et qui souffre et qui éprouve une vie de grande misère pour cette création. Traumatisé
jusqu’à ne plus pouvoir, à cause de la vie elle-même et dans la création aussi.
C’est la caricature qui commence à changer un peu depuis que l’artiste
contemporain se met costume-cravate et fait des affaires (Jeff Koons, par
exemple). Et ce n’est pas seulement Van Gogh. Toulouse Lautrec n’avait pas
besoin de dormir dans le parc – il venait d’une famille aisée. Cézanne avec ses
obsessions sur des pommes et montagnes. Francis Bacon… A la fin, je crois qu’un
artiste a besoin d’une sorte de folie et que le traumatique l’alimente, même
s’il le fait souffrir, mais… Mon mari, un grand sculpteur dit souvent qu’il
n’est pas un « vrai » artiste – il travaille avec des horaires, il est très
organisé, son atelier est propre et rangé. Il ne boit pas, ne fume pas, n’a
jamais gouté aux drogues. Pas de sexe, drugs and rock’n’roll. Pas comme Doïna
qui travaille quant elle veut, comme elle veut et dans son atelier on a
l’impression qu’il est passé une tornade… On a cette idée préconçue de
l’artiste qui a un atelier comme Bacon et qui vit sur un fil très périlleux de
sa propre santé psychique et physique.
Hier, on a eu au déjeuner un grand artiste équatorien. Une
légende. Un mythe. Et c’est le prototype de comment se cultive le mythe de
l’artiste maudit. L. S. de 61 ans souffre d’une sclérose qui l’a dépossédé de
sa jambe et sa main droites. C’est la main qui peint. Il a essayé de produire
avec la gauche, mais il ne peut pas. Il ne peut pas se soutenir devant le
chevalet : il tombe. En plus de ses malheurs corporels il est fan de
Cioran et son discours tourne beaucoup autour de l’inconvénient d’être né et
sur les cimes du désespoir…
Il souffre beaucoup, c’est toujours la faute de quelqu’un
d’autre et même si je ne veux pas faire une étude de cas (peux pas surtout, mes
études en psycho n’ont pas servi à grande chose), je suis très intéressée de
voir comment on alimente un mythe malsain. Pas seulement le héros principal,
les autres aussi. Je suppose que L. S. ne peut plus sortir du gouffre où il se
trouve et le nourrit avec un style de vie où les drogues, alcool et femmes sont
toujours présents. Ce que m’intéresse surtout c’est comment les autres s’approchent
à cette mythologie vivante.
Si le mythe est aussi une intériorisation des normes
culturelles « de ce que l’histoire
personnelle peut contenir » (Lesourd, p. 33), il y a aussi cet « imago »
qui « se présente comme “une conception
de soi personnifiée et idéalisée. Chacun de nous façonne consciemment et inconsciemment
des personnages (…)” » (1993, p. 122 in Lesourd, p. 41) Puis « la construction des imagos favorise
l’intégration d’une vie en introduisant dans le même format narratif
différentes personnifications du soi : le soi-comme-épouse-aimante, le
soi-comme-ardente-féministe, le soi-comme-mère-dévouée, le
soi-comme-jeune-fille-qui-a-mis-longtemps-è-s’échapper-de-la-banlieue, le soi-comme-future-retraitée-qui-échapera-à-la-maison-de-campagne,
et ainsi de suite. » » (2006, p. 179 in Lesourd, p. 42)
L. S. est resté dans cette image figée
d’artiste-maudit-souffrant-déprimé-traumatisé-mi-philosophe-drogué-et-alcoolisé.
Mais ça c’est lui, avec ses problèmes de santé et ses autres pathologies.
Pourquoi les autres aussi se sont construit cette conception ? La norme
culturelle associe tellement l’artiste à la bohème autodestructrice ? Oui, parce
que je me dis que tous ces groupies de L. S. devraient ne pas l'emmener à des
fêtes, dans des bars ou à des vernissages très arrosés, de lui donner des doses
de cocaïne ou marijuana… on devrait l’interner, le désintoxiquer, lui donner
manger des légumes et lui faire suivre un traitement pour sa sclérose et pour
sa dépression. Mais c’est un mythe ? On ne peut pas. On alimente le mythe, pas
la personne qui est en souffrance. Même sa famille. J’image que du moment que
t’en as une figure mythologique à la maison et que sa production artistique
entourée de cette aura de légende se vend tellement mieux… On la maintient.
Je sens que d’une part j’ai une sorte de discours maternel,
mais de l’autre… je suis comme les autres. Quand on le voit à des vernissages,
on a une telle admiration… « Luigi est là ! Wow ! Le pauvre… tu sais qu’il
peint avec la gauche ? Quel artiste ! »
Inconsciemment, moi aussi je me suis créé depuis mon enfance l’image que
l’artiste soit un fou comme Van Gogh ou comme Michel Angelo qui s’anéantissent
dans et à travers leur art… Ce n’est pas pour rien que le livre de Irving Stone
sur Michel Angelo s’appelle « Agonie et extase ». Parce que c’est ça. Évidement
pas pour tous et beaucoup réussissent une sorte de normalité quotidienne. Mais
je me demande quand même que serait de ma vie et de ma vie d’artiste si je
n’avais pas aussi une identité de mère qui me structure. Donner manger aux
enfants à des heures régulières t’ancre dans un réel.
Quoique…
J’ai vu que sur le forum on discutait sur le réel… Je ne
pense pas participer parce que je ne sais pas comment aborder. Tout est réel.
Le quotidien, la fantaisie, les mythes… Comment prouve-t-on le contraire ? A
moi ne me déstabilise pas trop l’exemple sur la page 8 : « “Bien,
c’est le moment pour moi d’aller à la gare” et “Bien, chéri, n’oublie pas de
prendre ton revolver avec toi” (pp. 208-209). Cette dernière phrase
n’appartenant pas à l’appareil de conversation du monde de référence, on voit
bien en effet qu’elle est tout-à-fait capable de déstabiliser le sujet. »
C’est du théâtre de l’absurde qui est plus réel que le réel. Le dernier « réel »
je crois que je le prends au sens de « norme ». Normal.
Donc, pour finir : c’est « réel » et « normal » qu’un artiste soit un personnage extravagant et plus il souffre mieux il est.
C’est « normal » d’aider les personnes en
souffrance.
Mais de quelle dissonance cognitive souffrent
les gens qui alimentent ce mythe ? Je m’inclus.
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