Je vais ouvrir une nouvelle rubrique dans ce journal: un autre journal dans le journal. Un journal d'artiste. 

C'est toujours en lien avec le cours de PNLS avec lequel je suis un peu trop impliquée. Pas seulement avec son cours, c'est surtout avec le dispositif. Il m'écrit ça: 
Bonjour,Il y a une dimension que je n'ai pas pris en compte dans votre message est la dimension plus personnelle, voire plus intime, qu'il est possible d'aborder à partir d'une science sociale. Traiter de l'implication ne veut pas pour autant dire "psychologiser". Le dispositif nous affecte et nous affectons la dynamique du dispositif. Donc il nous traverse, travaille en nous, et toujours "avec nous et au-delà de nous". Ces dynamiques peuvent parfaitement être analysées. Souvent le journal est un bon outil pour le faire. Bonne continuationPascal
Mon idée est de faire ce journal d'artiste, très libre où je pourrais défouler un peu mon vécu, mes pensées sans me sentir obligée de faire une analyse sur le coup ou de travailler en lien avec une théorie, un concept ou un auteur. Journal que je pourrais analyser après: passer de l'implication subjective à une distance objectivante. Je verrais comment au moment même. 

Mon dispositif à analyser est une expo que je prépare pour février.

Première pensée. Un artiste qui sort dans le système hostile de l'extérieur ressemble plutôt à ça: 



L'artiste, tout un dieu sur la cime de création, sublimé et sublimant,  veut faire une sortie triomphante vers un monde extérieur où le système... l'écrase. Le système (j'utilise ce mot qui est assez générique) contient l'espace expositif (privé ou d'état, galerie ou musée), le marché, l'acheteur, le critique (professionnel, connaisseur ou juste qui aime donner des opinions "c'est joli", "je ne comprends pas", "n'importe qui peut le faire" et des questions beaucoup plus quotidiennes, pas intéressantes du tout mais qui nous prennent la tête; problèmes financières, techniques, de survivance, d'organisation, etc.) Le système est une bête agressive, non-pensante et un peu comme un enfant qui veut gagner le jeu à tout prix: c'est une vraie relation de pouvoir! Le système gagne toujours car, au moins que l'artiste arrive à une place (de marché surtout) sur le sommet de sa carrière, il n'est plus soumis à des règles du jeu imposées par le gros et méchant système... Mais il me semble que le survire, ce Hulk, c'est aussi faire ce qu'il dit => soumission.  Soumission qui avec le temps est moins douloureuse pour l'artiste (il sait que c'est comme ça et il va préparé) et, en connaissant les règles du jeu, il peut anticiper. 
Le pire, malgré la maltraitance, l'artiste revient pour plus, parce qu'il est dépendant. Il ne peut pas s'autogestionner à 100%, il contrôle difficilement son propre travail, son organisation, ses pulsions, sa création et... oui, il doit vendre, il doit aussi nourrir son ego, etc. Des fois, il est rebelle aussi, il essaie d'aller contre, subversivement. Contre qui? Parfois, c'est contre soi-même. C'est un peu mon cas en ce moment: j'ai obtenu l'exposition avec des dessins que j'ai montré à cette galeriste, ce qui veut dire que je vais exposer des dessins et, jusqu'à février, je dois continuer à travailler le dessin. Eh, non! Je n'ai pas envie! J'ai envie de peindre et je fais des tableaux. Donc je suis mon désir de peindre (désir d'embêter, aussi), toujours "I would prefer not to" bartlebyen parce que je veux me sentir dieu dans ma création (je fais ce que je veux). Libre? Non. C'est une illusion, parce qu'à la fin, j'ai honte, je me cache de ma galeriste, j'essaie quand même de travailler le papier, j'ai... enfin, je ne fais rien, j'écris dans mes journaux. C'est une manière de prendre de distances :)

Le "I would prefer not to" est lié aussi à d'autres événements. Aujourd'hui je dois aller à un lancement d'un livre sur les femmes dans l'art équatorien. J'y fais partie des 13 élues et, oui, je suis fière (comme ça je suis un peu dans l'histoire de l'art équatorien (c'est qu'un artiste veut, n'est pas?) et reconnaissante (ce critique d'art aurait pu choisir à quelqu'un d'autre)), mais j'ai pas du tout envie d'assister! Cette notion d'artiste femme me... Je ne la supporte pas! Je ne suis pas artiste-femme, je suis artiste! C'est comme si on entrait dans ce monde de l'art grâce au fait d'être dans une minorité, grâce à un handicap. Mais, comme je dépends du système, je  sourie, je remercie, je donne les deux tableaux (entrée payante) qui vont aider à financer l'édition du livre (gros livre de luxe). 

Je joue le jeux et je fais semblant de passer un bon moment. J'accepte à être filmée en répondant aux questions d'un type parce que monsieur-critique-d'art veut projeter un documentaire sur "ses" artistes... leur vie, leur oeuvre, leur pensée. Heureusement que le type derrière la caméra n'a jamais mentionné ma condition féminine pendant l'interview. 

Aujourd'hui je me prépare pour ce lancement. C'est important pour moi. Et, comme pour chaque exposition je dois penser au comment je me présente. Aussi simple que ça: il faut s'habiller. Une jolie robe, manucure, talons hauts, racines noires décolorées pour ne pas avoir l'air d'une fauve bicolore, etc. Cette fois je n'ai pas envie. Déjà, je déteste ce cirque nommé "vernissage" où l'artiste pose tel un singe, sourit, serre des mains, vend et se vend. L'affaire des femmes-artistes-femmes dépasse le cirque: je le sens comme un freak-show. En mars dernier j'ai participé à une exposition de femmes (mois de mars oblige) et, au vernissage je suis allée "en homme"! Je me suis achetée une cravate. Donc, j'ai montré une position avec l'habit. Cette fois, je ne sais pas... Je ne veux pas me répéter. J'irais neutre: jeans, gros pull et mes doc Martens. Je n'ai pas encore le courage de faire des apparitions en pyjama ou pas d'apparitions du tout (c'est mon rêve: m'effacer, le public devrait connaitre que mon oeuvre, pas ma personne).

Tout cela pour dire qu'être artiste n'st pas facile. On doit subir, calculer, survivre et jouer à tellement de choses! Le fait que je pense pendant quelques jours à comment je m'habille... et ce n'est pas parce que je suis une femme compliqué, affairée devant son armoire, c'est parce que je veux montrer ma position et passer un message. 

Je raconte demain. 

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