Je suis très contente d'avoir commencé ce journal d'artiste et je trouve dommage ne pas avoir le temps d'écrire tout ce que je voudrais: les idées viennent tout le temps comme si elles avaient (enfin!) un espace où sortir. Ce ne sont pas des idées nouvelles, ce sont des vécus, des problèmes qu'on discute souvent entre nous, les artistes. Mais ce sont des conversations qui ne passent pas plus loin. Qui ne sont pas inscrites dans une réalité plus ample. Pour moi, en ce moment cette réalité plus ample ce sont les forums de M2 où je ne me sens pas très à l'aise… Je sens que tout ce que je sais c'est parler de l'art, de mon art! Je ne peux pas faire abstraction de ma condition d'artiste. Cette condition est très bien décrite par Blaise Cendrars qui répondait au questionnaire de Proust sur https://www.franceculture.fr/litterature/blaise-cendrars?utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Facebook#link_time=1511279057 et à la question "votre occupation préférée?" il envoie un magnifique "rien foutre!!!". Et c'est un peu ça, l'artiste, rien f… (je ne suis pas Cendrars, j'évite les gros mots) dans un sens de rien faire, ne pas travailler et ne rien à voir avec… avec les choses pas si sympathiques du monde de l'art. Le dehors. Bon, le dedans est aussi très frustrant et cruel comme l'extérieur institutionnel, mais au moins là t'es toi contre toi et on se connait un peu mieux là.
Je couve depuis deux jours ce post sur les expositions. A la maison nous sommes deux artistes: moi, artiste peintre et mon mari, sculpteur d'oeuvres publiques et monumentales. Son projet actuel: faire une exposition temporaire à Quito des oeuvres monumentales pour la mairie. Ça change un peu le concept d'exposition le plus courant: accrocher des objets bidimensionnels ou poser des objets tridimensionnels dans un espace fermé prévu à cet effet. D'une part, c'est le lieu qui change, l'approchement à l'oeuvre, la sécurité de l'oeuvre (vandalisme propre à la ville). De l'autre ce sont aussi les conditions de cette exposition. On parle souvent de la condition laborale/économique de l'artiste et notre situation est hilarante: on loue ou on achète l'espace de travail (l'atelier), on achète les matériaux (toile, papier, huile, pinceaux, spatules, chevalet, crayons, aquarelles, etc. etc. à des prix forts), on travaille l'oeuvre (pour une exposition il s'agit d'une année de travail plus au moins), on travaille en gestionnant la sortie de cette oeuvre au monde et au moment qu'on réussit à l'exposer, notre travail n'est pas rémunéré. Souvent on doit payer le droit au mur auquel on accroche ce travail (j'ai eu des proposition de 500£ pour 3 mètres dans une galerie de Londres, 200 € pour accrocher un tableau de taille moyenne dans une galerie italienne). Quand il ne faut pas payer il y a deux autres options: le musée et la galerie d'art privée. Le musée, (quand le pays n'est pas en crise) ne paye pas l'artiste, mais au moins il assume toutes les dépenses: transport, assurance, accrochage, muséographie, invitations, communication, cocktel, catalogue imprimé. Au temps du boum pétrolier des années 80 en Equateur, tout musée (ou institution culturelle d'état) qui organisait une exposition achetait à l'artiste au moins une oeuvre en payant un prix fort. De nos jours, on nous demande offrir une oeuvre à l'institution pour couvrir les frais… Ou, on nous donne le minimum: murs, accrochage, muséographie, invitation numérique et communication. Dans une galerie privée c'est… ça dépend de galerie à la fin. Dans celle que j'ai exposée cette année, l'artiste met: les oeuvres, 200$, le vin (ou autre boisson) pour le vernissage, transport, assurance (personne assure les oeuvres en réalité), accrochage, muséographie, curateur (s'il le veut), communication et la galeriste: son espace, l'accrochage (et la muséographie, communication, presse: c'est un travail en commun), le bouffe du cocktail et son travail de galeriste qui consiste à vendre l'oeuvre. C'est une sorte d'autogestion à deux où l'artiste gagne 65% de la valeur de ses oeuvres vendues. La galerie avec laquelle je travaille en ce moment  prend une commission de 45%, mais l'artiste ne dépense rien d'autre que le fait d'avoir produit l'oeuvre et son temps de co-gestionner l'exposition. L'avantage d'une galerie privée sur un musée ou autre institution est qu'elle s'en occupe de la vente, c'est sa façon de se gagner la vie et une exposition devient plus qu'un accrochage d'objets dans un espace: c'est un moyen de vivre de son art (art de vendre aussi). Un musée est plus prestigieux pour le cv, mais les ventes n'existent pas.
Mais en revenant à la possible exposition de mon mari, la situation est très différente et sort du commun expositionnel équatorien. D'abord elle est sollicitée par la mairie et pour un espace public ce qui signifie que l'oeuvre dépasse l'espace restreint et élitiste d'un musée ou d'une galerie: elle est un élément social, éducatif, culturel pour le peuple qui n'a pas accès aux espaces naturellement réservées à l'art. L'exposition devient plus que ça: c'est un projet. Un projet que le municipe doit payer. Et il ne s'agit pas de couvrir les frais inhérents à l'expo (élaboration du projet artistique et urbanistique, transport, montage, bases, assurance, garanties, restauration de l'oeuvre après l'expo) il va payer l'artiste pour qu'il "prête" ses oeuvres pour l'espace qui l'utilisent des usagers citadins. Alors, ici, c'est une première et c'est juste. Autrement quand est-ce que l'artiste vit de son art? Le musée devrait faire ça.
Voilà donc, de différents types d'exposition. Je pense que je devrais revenir avec ces différences et sans parler argent, voir comment elles se font quand elles sont collectives, personnelles et pour l'artiste débutant ou accompli. Intermédiaire aussi…

Du coup, je devrais plutôt être dans mon atelier à produire de l'oeuvre, mais.... sincèrement je me demande souvent à quoi ça sert toute cette quantité d'objets qui servent à rien, ni à personne…

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