Je dois commencer à reprendre le journal ici. Je recopie le pensées du jour et de hier.

19 octobre

Les idées de l’autre jour qui ont pris forme de question : « Peut-on former à la création ? ». C’est pas « former à la pratique artistique qui implique l’enseignement  technique, des règles et des théories, mais, je ne sais pas, impulser-encourager-enseigner la création. J’ai une intuition, l’enseignant d’art pourrait se heurter à son non-savoir, comme l’analyste (le prof) qui ne sait pas, c’est le sujet qui sait, qui détient son propre savoir. Donc, du coup, ça me permettrait d’incursionner dans l’extérieur plus palpable et de continuer à tisser autour de ce non-savoir… Je crois que dans mon projet pour le dossier de candidature je parlais aussi d’une sorte de « former à l’autoformation », parce que (déjà dit) l’artiste passe plus par soi-même que par les autres.
En M1 on a beaucoup discuté sur ma démarche : inductive ou hypothético-déductive ? Pour cette année, j’ai été assez tentée pendant un bon moment de commencer une recherche avec les idées claires = hypothético-déductive ; mais… par moments j’ai l’impression que si j’ai une idée plus globale à réaliser dans un autre format et un autre temps… c’est très tentant de partir de nouveau à l’aventure inductive. Oui, c’est une aventure, c’est de la création aussi ! Et un moyen de découvrir des choses qu’on aurait difficilement découvert autrement.

20 octobre
Trouvaille bibliographique : un article de Vandendunder « Peut-on enseigner l’art ? Les écoles supérieures d’art, entre forme scolaire et liberté artistique » - une étude dans 4 ou 5 écoles d’arts de France dont l’ENSB-A où il y a une chose qui se répète : on ne peut pas enseigner l’art. Ou comme je le disais plus haut, on ne peut pas former à la création… Mais pourtant ces écoles existent… « C’est que l’art, de par sa représentation charismatique, n’entre pas si facilement à l’école (Bourdieu, 2001). L’idéologie du don inné, le mythe du « créateur incréé » (Bourdieu, 1980, p. 207- 221) sont en contradiction avec la mise en œuvre d’une transmission et d’un enseignement, comme dans le cas de la religion (Suaud, 1978). » (p. 121) Basé sur des entretiens avec des étudiants, des professeurs et des diplômés, cet article met en relief cette impossibilité de transmission et, du coup, parle beaucoup d’une formation à l’autonomie de Lahire que, si s’applique dans une maternelle peut aussi bien s’appliquer dans une école d’art.
« Les beaux-arts sont-ils réellement des écoles sans école, sans relation de pouvoir ni transmission de savoir au sens classique ? Peut-on vraiment y voir un paradigme en acte de la pédagogie de l’autonomie (Lahire, 2001) telle qu’elle est vantée par les enseignants et les directeurs d’établissements ? » (p. 123)
« C’est que la construction d’une démarche artistique originale échappe à l’académisme : il s’agit d’acquérir une pratique, une « connaissance par corps » (Bourdieu, 2013, p. 121-124) qui ne peut être transmise dans le cadre d’un enseignement formalisé. La formation au cours de ces années ne peut être fondée sur un corpus de savoirs explicites, objectivés et fixés, c’est-à- dire écrits. » (p. 126)
« La formation est ainsi centrée sur l’étudiant, créateur de son cursus et initiateur de son travail. (…) …les écoles d’art apparaissent ainsi comme des idéaux-types de la « pédagogie de l’autonomie » (Lahire, 2001). » (p. 126)
Donc, selon cette étude, oui, dans les écoles françaises il y a très peu d’enseignement d’une grammaire quelconque (sauf en première année). Je suis d’accord parce qu’en termes d’éducation artistique j’ai connu les extrêmes : la « liberté » absolue dans l’ENSB-A à Paris où j’ai fait deux ans et l’académie soviétique (l’époque était post-soviétique, mais l’enseignement était identique) ou on était tout sauf artistes : on apprenait. On apprenait des choses : soutenir le crayon, le tailler, comment se placer devant l’œuvre  et le modèle, mesurer, placer, composer etc. et tout ça en imprimant de la personnalité à l’œuvre … Cette « personnalité » se demandait plus pour le cours de « composition » où on pouvait faire une sorte d’œuvre  personnelle (sous supervision et après que le croquis ait été approuvé par le prof). Cette académie, je l’ai détestée car trop contraignante et qui ne te laisse pas facilement développer une individualité. Tu peux le faire mais il faut le prouver, il faut appliquer de la force et mener une scolarité plus conflictuelle. Arrivée à Paris j’ai connu l’extrême opposé. Je me rappelle d’un cours de dessin (très bon) où on dessinait le/la modèle en mouvement. Le dessin se réduisait souvent à une ligne et, je me rappelle tellement que le prof me répétait (trop) souvent : « Plus libre ! Plus libre ! » Je n’ai jamais compris ce qu’il voulait et j’ai passé mes deux ans (et plusieurs années après) avec un sentiment désagréable de temps perdu où je n’avais rien appris. Heureusement que j’étais inscrite dans presque tous les ateliers techniques… Mais je n’ai pas pu m’assimiler à ce « système »
Cette incursion dans mon vécu personnel a un lien avec la suite de cet article où il y a cette tension entre « liberté, mais pas trop ». Trop indépendant et centré sur soi n’est pas bien non plus : tu n’est plus dans ce système. Le témoignage d’un enseignant :
« La deuxième chose, surtout en première année, les étudiants, ben ils croient que comme ils sont entrés dans une école d’art ils sont artistes, donc pourquoi on viendrait les embêter avec un enseignement, des techniques, des choses comme ça. Ils prennent un peu, ils sont très, très, comment dire, en self-service un peu [...]. Après ça il y en a certains qui par exemple pensent que ça sera juste un atelier. Il y en a certains, bon là c’est différent cette année mais, qu’on fait pas passer en deuxième année en leur disant : « Ben à la limite vous voulez être artiste, soyez artiste, peut-être que c’est le moment de le faire maintenant, à la limite il vaut mieux prendre des cours du soir, des trucs comme ça, mais le cursus ne vous convient pas, parce que vous êtes déjà trop engagé, à tort ou à raison, mais trop engagé dans une pratique personnelle et vous n’avez pas envie d’apprendre des choses» (extrait d’entretien, enseignant « plasticien » en école territoriale, Île-de-France). » (p. 129)
C’est moi qui souligne.
Tout ça existe. Puis, je suis à Quito… Ici, l’université est vue comme trop « académique » par un étudiant français venu en échange de l’ENSB-A, mais la réalité est triste. C’est ni l’un, ni l’autre…
Enfin, après mes pensées et la lecture de cet article je me demande s’il vaut la peine d’y continuer avec la question de laquelle je suis partie « peut-on former à la création ? ». Peut-être la reformuler ? Parce que oui, il y a formation (à l’autonomie aussi, certaines techniques aussi) « Les enseignants ont avant tout pour but de faire émerger l’originalité de l’étudiant, de refuser tout conformisme et, par là même, de permettre à l’étudiant de trouver l’artiste qui est en lui. » (p. 130) Mais, comment faire émerger l’originalité et l’artiste qui est là, caché et qui attend à être découvert come une forêt vierge ?
Donc, il y a l’étudiant[1] qui « sait », le professeur[2] qui « ne sait pas[3] » mais qui aide l’étudiant que ce « savoir » émerge…  Comment ?
Et comment, par où puis-je continuer ?



[1] le patient
[2] l’analyste
[3] la connaissance contenue dans l’étudiant que lui même ignore ou ne voit pas

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