Définitivement j’ai du mal à me séparer de ce journal ! Mais,
je viens de finir mon projet de recherche (qui est plus flou que la brume et
que le flou lui-même) et ma lettre de motivation. C’est à cause de cette
dernière que je reviens ici : j’ai failli prier. Please, please, please,
laissez-moi continuer en master 2 ! J’ai du garder beaucoup de sérieux pour
ne pas être si ridicule… Mais, à la fin il me semble que j’ai fini par faire un
éloge au journal. C’est drôle, peut-être je devais me concentrer plus sur la
continuation de la recherche, mais comme pour cela existe mon vague et confus
projet de recherche qui va dans la même enveloppe… j’ai laissé sortir un peu
mes sentiments. Et, oui, mes sentiments sont très reconnaissants avec ce
journal. Journal que je ne peux pas « finir » ! « Finir »,
oui, parce que c’est de nouveau cet inachèvement. Inachèvement dont parlait
Green quelque part, je ne peux plus chercher cette référence maintenant et en
plus c’est de mémoire : l’achèvement de l’œuvre implique d’une certaine manière la mort.
Je recopie ici cette fameuse lettre qui m’a fait beaucoup sentir
et… je ferme.
« Je commence à rédiger cette lettre de motivation bien
avant la date limite de son envoi. D’une part, c’est dû à l’océan qui sépare
l’université Paris 8 de mon domicile en Équateur. De l’autre, je me trouve en
pleine finalisation de ma note d’investigation
de Master 1, du journal qui m’a accompagné dans la recherche toute cette
année et du projet de recherche pour le
Master 2.
Cette introduction un peu abrupte a sa raison d’être :
actuellement je suis inscrite en master 1 en sciences de l’éducation à l’IED et
cette lettre de motivation qui est destinée à renforcer ma candidature pour le
master 2 dans la même université nait en même temps que mon projet de
recherche. Projet qui en ressort naturellement de ma note d’investigation qui
n’a pas pu être conclue. Note d’investigation qui m’a donné beaucoup plus
d’ouvertures, des pistes et des raisons pour continuer ma recherche.
Ainsi, ma motivation actuelle pour continuer mes études à
l’IED en sciences de l’éducation se range plus du côté de cet inachèvement. De
ce sentiment que le travail n’est pas fini et que j’ai l’opportunité
d’approfondir des notions très intéressantes que j’ai pu découvrir au cours de
cette recherche préliminaire.
Cette année de master 1 j’ai senti, pour la première fois que
je pouvais poursuivre mes intérêts tout en découvrant des méthodes, des
concepts et des démarches. Tout d’abord, j’ai trouvé la manière de faire de la
recherche qui me correspond le mieux : l’approche multiréférentielle qui
me permet de travailler de manière plus créative, sans être soumise à une seule
théorie ou approche. L’approche multiréférentielle, ainsi que la démarche inductive
(que j’ai découvert cette année) m’ont permis de partir d’une idée de départ
assez incongrue qui postulait que le créateur se crée à lui même (dans un
esprit auto formatif) et que dans cette autocréation s’inscrit l’entendement de
l’acte de créer qui serait né du vide. Du coup, le vide en tant que précurseur
de la création artistique, est devenu au fil de la recherche
« non-savoir ». Un « non-savoir » que j’ai hâte de pouvoir le
situer dans le savoir et dans la connaissance.
Donc, j’ai mené une aventure fascinante cette année –
aventure qui m’a permis de découvrir des nouvelles pistes de recherche, pas
seulement dans le domaine de l’(auto)formation des artistes, mais aussi en
touchant un peu à l’acte de créer lui-même et à la formation tout au long de la
vie. Je ne sais toujours pas quelle est
la fonction de ce non-savoir dans la formation (son utilité a été plus claire
dans le processus de création en tant qu’espace de non-réflexion qui permet un
détachement de la raison et, surtout, de la cognition), mais toucher à ces parties
de notre fonctionnement mental qui
échappent au Logos, trouver leur raison d’être et leur utilité dans l’entendement de notre
inachèvement… je suis curieuse.
Cette lettre de motivation, ainsi que le projet de recherche
à joindre à mon dossier de candidature, doivent être aussi une reliance entre
mes études et mon projet professionnel. Ce dernier, je ne pourrais pas
qualifier de professionnel. Il l’est, mais il relève plus d’un projet
existentiel – la création artistique revient plus à l’existence, à l’expérience
de celle-ci plus qu’à une professionnalisation. Il s’agit de chercher sans
répit, de faire le voyage avec et dans la création. La recherche, rejoint le
même modus opérandi de la création qui est de « suivre une volonté impérieuse de se
consacrer à une œuvre, et de s’y donner aussi entièrement que, peu à peu, votre
personne se perd dans la construction de cette œuvre. Un vrai chercheur
disparaît dans l’œuvre qu’il réalise ;
la signature est celle de l’artisan qui s’efface peu à peu devant l’outil qu’il
affine. » (Malaurie, p. 143 in Hess, 2003, p. 142) J’ai failli cette
année de disparaître dans cette œuvre, tout comme je le fais dans ma création
artistique, mais ce « disparaître »
est à prendre dans un sens positif : être absorbé par l’objet/sujet
de la recherche a aussi des avantages même si des fois c’est assez difficile le
vivre. C’est difficile de vivre cette implication si complexe qui cherche, après ce voyage inductif, de
se focaliser dans une idée précise. Dans
ce domaine flou de la création de la (auto)formation artistique, l’expérience a
une importance fondamentale même si
« cette expérience ne se laisse pas
facilement rassembler d’avance dans une ontologie ou dans un logos quelconque :
l’expérience de la pensée, c’est une expérience sans charte et sans carte, une
expérience exposée à l’événement au sens que je précisai tout à l’heure,
c’est-à-dire à la venue de l’autre, du radicalement autre, de l’autre non
appropriable. » (Derrida, Penser à ne pas voir, p. 70) Cet autre, pour
moi c’est le « moi » qui réfléchit, qui fait de l’autoréflexion et
devient, d’une part un praticien réflexif et, de l’autre, il (j’) arrive à
mieux conscientiser son acte.
Le master en sciences de l’éducation de Paris
8 nous offrent plusieurs outils et aides à vivre note recherche : la
grande sympathie, flexibilité et ouverture d’esprit de nos enseignants (je trouve que c’est assez difficile qu’un
tuteur accepte comme thème de recherche « Le vide dans l’acte
créatif » et qu’il sache te guide à travers cette recherche qui a l’air
impossible) et une pratique très ancienne à Paris 8 : le journal.
Celui-ci est l’instrument formateur et
régulateur par excellence qui permet de mieux vivre l’implication de l’apprenti
chercheur et sa perte dans la construction de cette œuvre (ou, au contraire, assurer et assumer cette
« perte »), de s’auto-analyser et, par là, faire un retour sur
soi-même et sur sa pensée. Le journal qui est souvent guide, aide-mémoire,
chantier de construction et même en tant qu’espace de rencontre avec soi-même.
Même un ami qui supporte tous les moments.
Pour moi, en tant qu’artiste peintre, la
découverte de ce nouvel moyen d’expression qui sort de l’intime de la création
– intime qui frôle l’autisme – et qui permet même de sortir de cette visibilité
immédiate de l’image pour accéder à une visibilité par la parole. Mettre des
mots sur ce vécu de la création qui, pour la note d’investigation de Master 1 a
creusé au plus profond de moi-même, est d’une importance capitale. Ces mots,
qui se heurtent toujours à l’indicible et au mystère de la création, sont une
tentative de description depuis l’intérieur, du point de vue du créateur. Cette
compréhension, interne d’abord, est absolument nécessaire pour pouvoir passer à une étape suivante,
plus attachée au réel et aux autres. Comprendre un peu l’acte de créer, comment
on est devenu créateur, comment on se crée et on se construit permettrait
d’extrapoler cette information et la rendre utile, d’une certaine manière.
Qu’elle ait un pouvoir transmissif…
Ce pouvoir transmissif peut prendre des formes diverses et, pour
rester dans mon petit éloge au journal, l’extime des réflexions que j’ai menée
durant cette année est devenu public. J’ai osé, et j’ai franchi ce cap, cette
limitation de ma personnalité en rendant mon écriture publique : j’ai
blogué mon journal[1]. Cette visibilité qui sort du cadre
universitaire et de la relation enseignant-étudiant, m’a permis une autre
manière de voir mon journal : il y a eu plus de relectures, un format
différent qui permet un côté plus ludique qui repend du sérieux une fois passé
sous Word et, aussi, une façon de jouer le jeu de la subjectivité qui est une
expérience de formation et un enrichissement mutuel entre diaristes (j’ai fait
l’expérience de partage de journaux). C’est
aussi de l’honnêteté avec soi-même et avec les autres : le côté public de ce
journal implique aussi quelque responsabilité avec l’éventuel lecteur…
Je mentionne souvent le terme
« autoformation », mais en séparant toujours le « auto »
par des parenthèses. Comme pour marquer la possibilité d’être et de ne pas être
en même temps. Plus que ça, il me semble que j’essaie de formuler une sorte
d’hypothèse : former à l’autoformation. Former l’artiste (ou le futur artiste, terme à débattre,
car on se heurte à l’impossible « nait-on ou devient-on artiste ?) à
la création de soi et de l’œuvre. Donc le « auto » est toujours là
mais il a besoin de guidance. Guidance que j’ai reçue à l’IED pendant ma
licence et pendant cette année de master 1 et qui a été aux limites d’être et
de ne pas être. Le « ne pas être » permet le développement personnel,
l’avènement des idées incongrues et invraisemblables qui répondent à cette voix
intérieure qui nous a poussé à reprendre des études et commencer une recherche
qui est guidée par un intérêt personnel. Intérêt qui nous motive, à la
fin : c’est vrai pour moi, en tout cas.
C’est très difficile d’écrire cette lettre de
motivation quand je suis dans une étape médiane – je suis dans une recherche à
peine entamée et qui n’attend qu’à être développée. Je suis partie d’une idée,
j’ai décortiqué mon expérience personnelle de créateur plastique, je me suis
entretenue avec les autres. Je me suis heurtée à des lectures très difficiles,
que je commence à apprivoiser peu à peu et qui m’ont guidée vers des notions
fascinantes. J’ai perdu un peu la peur à la philosophie et j’ai appris à lire
un peu différemment la psychanalyse… Les
deux se heurtent à l’indicible de l’œuvre
d’art et à l’indescriptible sublime de la création… C’est important, car
ce sont des difficultés qu’un étudiant non francophone d’origine et qui habite
à l’autre bout du monde doit surmonter. Travailler avec ce français de
contrebande et trouver la manière de se procurer la bibliographie ne sont que
des petits obstacles dans cette aventure. Obstacles qui ne te font que grandir
et qui te forment dans la discipline.
Ainsi, en conclusion de cette lettre de
motivation qui a été plutôt un hommage au journal en tant qu’outil qui permet
que la recherche impliquée puisse se
développer, qu’est-ce que je pourrais ajouter ? Que je dois absolument
pouvoir continuer ma recherche entamée cette année avec la guidance de mon
tuteur Francis Lesourd ? C’est audacieux de le dire, mais, comme je l’ai
conclu dans ma note d’investigation et pas mal traité dans mon journal :
le non-savoir est proche de l’ignorance. Celle-ci est audacieuse, c’est elle
qui permet de créer, d’inventer, de sortir des sentiers battus. Et c’est elle
aussi (ou le non-savoir, mais laissons-les comme des synonymes pour cette fois)
qui est le moment où l’on se rend compte qu’elle doit être comblée et qu’on
doit continuer à apprendre, à chercher et à se chercher par là même.
J’espère donc que ma
candidature pour ce Master 2 « Éducation tout au long de la vie »
sera retenue pour que je puisse continuer cette incroyable aventure à l’IED et
que ma recherche puisse continuer avec la guidance de mes professeurs. Professeurs
qui m’ont permis d’apprécier dans sa juste valeur l’expérience personnelle (pas
seulement la professionnelle), qui m’ont ouvert les yeux sur l’autoréflexion,
qui m’ont donné des outils méthodologiques moins typiques et plus adaptés à ma
recherche. Des professeurs qui, à la fin, m’ont permis de suivre mes idées,
d’avoir une voix propre et de faire œuvre
de cette recherche. Les mêmes professeurs que je sais que
m’accompagneront aussi en M2 où j’ai pu repérer déjà des cours dont les titres
ne sont que prometteurs. Les mots-clefs sont des plus séduisants : altérités,
expériences, existences, inachèvement, assignation, émancipation, pensée
critique, etc.
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