Hier je ne pouvais pas dormir et j'ai eu plein d'idées géniales, mais… elles sont parties! Par contre, je reviens vers mes notes du cours de Deleuze "Sur la peinture". Dans la première séquence, il parle beaucoup de catastrophe. De la catastrophe dans l'acte de peindre. Du point de chute qui est repérable dans la composition. Une sorte d'inévitable. Une "catastrophe qui n'affecterait pas l'acte de peindre … l'acte de peindre ne comprend pas la catastrophe, il est affecté par la catastrophe." Je ne sais pas de quelle catastrophe parle Deleuze ou qu'est-ce qu'il veut dire par ça, mais c'est subi, c'est l'acte qui est si acte qu'il est dans l'ignorance. C'est insu. Plus loin: "la catastrophe est inséparable de la naissance." "La peinture, l'acte de peindre passe par la catastrophe, par le chaos, quelque chose en sorte" je note qu'il y a un besoin. C'est un chaos initial qui me fait revivre mon idée de vide: chaos <--> vide =initial? Big Bang? C'est quoi ce Big Bang, ce moment initial où il n'y avait rien mais il y avait quand même. Le vide plein pour citer de nouveau à Luca… Il y a un début en tout, mais on n'arrive pas à mettre le doigt sur ce début, sur ce qu'il y a là… On ne sait pas, mais Deleuze dit que "les peintres font toujours semblant de ne rien savoir"! Je ne suis pas sûre qu'on fasse semblant… Cette question de non-savoir, non-réflexion apparaît chez tous! Bien sûr, qu'on sait, mais c'est un savoir insu, c'est une sorte de penser avec le corps, avec le geste. Pour continuer avec la catastrophe deleuzienne: "pour quoi ils (les peintres) sont intéressées par l'histoire de la création du monde?" - "la virginité du monde, le monde avant le monde" - "travail pré-pictural" - "la catastrophe commence avant la catastrophe pré-picturale" Donc, dans la création il y a toujours un début insaisissable. Je prendrais bien le terme de catastrophe au sens de bouleversement (du grec), de changement extrême, même si communément a un sens de tragédie. La tragédie est destruction et création et destruction sont liées. Le nouveau, le créé soit venir sur un terrain propre et vierge…
Mais c'est toujours l'inconnu… Je tombe aujourd'hui sur un interview avec Francis Bacon et… devinez? "Je ne sais pas. Je ne pense jamais." Voilà. Mais bien sûr qu'il pense, moi aussi et mes autres sujets, mais on ne réfléchit pas. Savoir insu. Petit brainstorming avec ma mère qui me propose "j'ignore". Personne dit "j'ignore", on dit "je ne sais pas" en posant l'accent sur ce "ne", la négation qui est même double en français. "J'ignore" inclut le je qui n'est plus séparé par le "ne", le "ne" est coupure tandis que le "j'ignore" dit le même "je ne sais pas, mais je suis inclus dans ce non-savoir"... Mais j'ai un problème avec ce nouvel verbe: il ne s'agit pas seulement de ne pas savoir, on peut faire le choix de faire semblant de ne pas savoir. On ferme l'oeil, on tourne le dos, on ignore…
Alors ce non-savoir? Est-il important? Il faut l'accepter? Et si on l'accepte, on ne tombe pas dans une question de foi aveugle, une sorte de spiritualité? Si le non-travail peut être considéré un moment formateur… alors le non-savoir aussi? Je cherche toujours. Je vais revenir vers Bataille et Green et ça: "Le non‑savoir s’identifie d’abord comme revendication, et c’est sa dimension polémique, — référentielle toujours, et souvent politique —, qu’enregistre d’abord son préfixe, souvenir du geste qui le crée. Le non‑savoir est le parti pris pour l’altérité, contre la fermeture d’un savoir ou d’un discours ; il a à voir avec la limite, qu’il explore et maintient ouverte. Mais pour lui l’altérité s’atteint toujours d’abord par la négation, et il porte la trace ou la mémoire de ses renversements. L’enjeu peut être d’embrassement d’une altérité soudain perçue dans la trame commune du savoir et du réel. " (1)
- Clément Girardi, « Hypothèses de non‑savoir », Acta fabula, vol. 16, n° 6, « "Vertus passives" : une anthropologie à contretemps », Septembre-octobre 2015, URL : http://www.fabula.org/acta/document9448.php, page consultée le 25 mars 2017.
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