Ça fait un peu de temps que je n'écris pas ici! Mais c'est seulement aujourd'hui, depuis mercredi (je crois) que je fais une nuit entière. Le décalage d'horaire est fort et j'ai complètement perdu l'habitude d'être en hiver. 

Le froid. J'ai eu de la chance de voir la neige! De la revoir... ça vaut la peine de se congeler un moment. J'ai perdu l'habitude de mettre autant de couches de vêtements, de travailler autant avant de sortir la maison. Puis, tu entres quelque part, dans un magasin... on  fait quoi? On se déshabille? Non, on ouvre des boutons, l'écharpe... je réapprends toutes ce genre de choses.

En plus, le semestre commence à finir, il ne manque qu'un seul devoir à rendre. Le journal de voyage je l'ai fini directement sous word, pendant le voyage. L'expérience a été intéressante et je pense que je recopierais ici ce journal en direct, documentaire.

P.S. Petite modification de l'article à 8:25 heure de France: Blogger a le décalage et il publie à l'heure de Quito où c'est encore samedi!

Mercredi 25 Janvier 2017 (le voyage réel, comparaison)

Quito, aéroport Mariscal Sucre.

Il est 15 h 40 et je dois traîner ici jusqu'à ce que qu'on embarque et, enfin on décolle à 17h35. Je voulais avancer le plus possible ce journal qui, étant un journal de lectures, il n'a pas été si juste avec cette consigne. Mais, avouons-le, l'opportunité de documenter un voyage si long pour un cours qui s'appelle "Voyage et formation de soi" ne se donne pas si souvent.
Un long voyage rend nerveux, il y a toujours beaucoup de choses à faire. Bien planifier, pas seulement documents, itinéraires, bagages, il s'agit aussi de bien laisser la maison. Instruire de nouveau le mari sur le fonctionnement des appareils domestiques, dire aux enfants que se portent bien, qu'ils aident un peu plus… Qu'ils nourrissent le chat. De mon côté, toujours la peur de ne pas oublier ou perdre l'indispensable et planifier le trajet - iPad pleine d'articles à lire et les journaux en mode hors connexion pour pouvoir continuer l'écriture. Une batterie portable et un tout petit livre très dense qui devrait avoir un effet somnifère (Descartes, Le discours de la méthode). Oui, je ne dors pas pendant les voyages et je pense profiter de ces quatorze heures jusqu'à Amsterdam.
 Je me demande sur les voyages d'antan. Étaient-ils plus compliqués ? Où c'est notre notion du temps qui a tellement évolué ? On est pressés. Attendre deux heures avant l'embarquement nous semble infernal, on s'ennuie. Ou, on veut profiter et on travaille. On, ne se donne plus des temps de réflexion sur la vie. On ne peut pas ne rien faire, non plus. Ce raisonnement m'a fait laisser un livre avec lequel je voulais travailler. Je me suis dit qu'il faut profiter de l'ennui et travailler plus à partir de soi, meditare.
Quoique j'ai du matériel pour ce journal : un article sur les voyages imaginaires de Michaux et… mes souvenirs de lecture.
Mais, revenant à la réalité, je suis contente - il y a un très beau soleil maintenant à Quito ! Un soleil qu'on n'a presque pas vu les dernières deux semaines. Accumuler un peu de chaleur avant d'affronter l'hiver me ferait un grand bien.
Trouvé ça quelque part :

" J'ai accompli de délicieux voyages, embarqué sur un mot...". Honoré de Balzac

17h 47 (Michaux, voyage réel, voyage imaginaire)

Enfin, biscuits hollandais et route vers Guayaquil pour embarquer le reste. Je ne pense pas que ce voyage sera très productif - je suis tout à fait capable de regarder les nuages sans faire rien d'autre. Oui, on peut se détendre et admirer. Peut-on appeler paysage le tapis blanc, cotonneux sous le ciel immaculé ? C'est impressionnant même si aujourd'hui on n'a pas eu la chance de voir le sommet du Cotopaxi en perçant. E ciel inférieur.
Michaux en bateau. Que de l'eau autour et la compagnie de ces camarades de carcasse. Il avait duré longtemps son voyage. Si longtemps qu'il semblait immobile. "Mais il est où ce voyage ?" (Cité de mémoire, pas de livre sous la main). C'est vrai, il est où le voyage ? Voyager c'est voir. Regarder. Ici, on évite le voisin, on s'occupe de ses affaires, on dort, on regarde des films. Il n'y a pas de paysage changeant. Ce tapis de nuages ressemble un peu aux dessins hallucinatoires de Michaux : un rythme irrégulier. Plat, coupé par le grosse ombre d'un machin menaçant. Ça doit être un orage regardé du point de vue de Dieu - d'en haut. On s'en fiche qu'en bas il pleut… Mais on descend, cet avion si gros fait une vingtaine de minutes jusqu'a Guayaquil. Contre les 12 en bus ou la semaine à cheval en 1928.

19h 05  (journal, réalité)

On sort de Guayaquil à 20h 20, donc à traîner encore par ici, passer des contrôles, enlever, bijoux et bottes… Attendre, attendre…
Deux observations jusqu'à maintenant. Une, documenter dans un journal fait voir les choses sous une autre perspective. Avec d'autres yeux. L'implication laisse place à l'observation et on est moins affecté par les événements. Deux : il y a très peu d'équatoriens. Beaucoup de français. Les équatoriens n'aiment pas le froid.
De Quito (ou de Guayaquil) il n'y a que deux destinations vers l'Europe. Madrid et Amsterdam - et de là, correspondances. Et le système est drôle. L'avion arrive d'Amsterdam à Quito - débarquent ceux qui venaient à Quito et embarquent ceux qui vont à Amsterdam - de là on va à Guayaquil, on dés-embarque ceux qui allaient là et embarque de nouveau… Deux heures par terre… mais bon, on prend aussi de l'essence et de la nourriture.
Je vais faire un tour ; chercher de cigarettes duty-free.

19h 54 (Hess, Interculturalité, Improvisation

Toujours à terre, il manque peu. Pour passer le temps, j'ai choisi dans ma bibliothèque numérique un texte de Remi Hess sur l'improvisation et la dissociation. Le titre m'a attiré puisqu’improvisation est création aussi est ça c'est mon thème de recherche (Lapassade donne une belle définition au début), mais, je tombe sur ça ;
"Remi Hess : Tu veux dire que le voyage conduit à se confronter à d'autres choses qui peuvent être en écho avec toi. Tu as donc envie de te les approprier, mais quand tu retournes dans ton pays, tu es prise dans le système de fonctionnement du pays, et finalement tu as du mal à importer de nouvelles formes de rapport au monde, qui font déjà maintenant partie de toi, et que tu ne peux pas vivre avec les gens que tu retrouves.

Gaby : Particulièrement avec des gens qui n'ont pas l'habitude de voyager dans d'autres pays, ou de faire aussi des expériences intellectuelles, interculturelles avec d'autres.


R. Hess : Tu penses qu'il y a une compétence interculturelle qui facilite par exemple l'improvisation. Irais-tu jusqu'à dire que l'improvisation serait facilitée avec des gens qui ont une expérience de l'interculturel ? L'interculturel implique plus que d'autres situations une disposition ou une nécessité de l'improvisation.
" (P.17)
La compétence interculturelle. C'est vrai, on communique tellement plus facilement avec des gens qui ont la suffisante expérience interculturelle et qui dirigent la communication vers des thèmes d'intérêt commun ou de partage. Ne pas regarder l'autre comme tel, un Autre extraterrestre, le alter… Pas de tiers inclus là. Tout est exclus.
L'anecdote de hier : quelqu'un vient en visite, on lui offre café à la façon équatorienne avec de "humitas". La question nous tue : "ce sont des humitas russes ? Soviétiques ?". Je comprends que mes origines si inconnues (petit pays, je comprends), mais là c'est la méconnaissance de l’histoire tout simplement. D'une autre : aucune expérience de l'interculturel - tout ce qu'il y a ici, il y a ailleurs, ou, le tiers exclus - ce qu'il y a ici, il n'y a qu'ici. Aucune idée de la grande variété de ce monde. Et la communication n'est pas facile, pas d'improvisation, pas de fluidité - ni conservatoire, ni des idées.
On commence à serrer les ceintures.

21 :38 (heure de Quito, quelque part très haut) (Hess, journal, implication, transduction)

Pas de bons films dans cet avion, j'ai faim et je m'offre la soirée Remi Hess. J'ai toujours des doutes avec les journaux - le personnel, l'implication semblent si… trop présents. Oui, c'est l'éducation hypothético-déductive qui prend le dessus. Malgré ma transduction et improvisation artistique. Oui, devant mon tableau je m'en fiche de tout, des règles, des méthodes, de la propreté, de la sécurité… les devoirs par contre… Je ne me libère toujours pas, je ne me donne pas assez le droit à la poésie (fut-elle en prose) et si ça s'échappe… je culpabilise, je sens que ce n'est as assez "sérieux", "travaillé", "justifié" etc. (Je crois que je viens de voir Bogota, la nuit est très claire !)
"Cette tension entre l’hypothético-déductif et le transductif n’est pas une loi de l’école. C’est beaucoup plus général. C’est un allant-de-soi de l’institution. Ainsi, même dans le domaine de la représentation artistique, le spectateur n’est pas plus « émancipé » que l’élève. On lui indique constamment ce qu’il doit regarder et apprécier. Gare à celui qui regarde le doigt du maître, plutôt que la lune qu’il indique ! Et, pourtant, le doigt de la maîtresse est intéressant." (Hess)
"Dans le flux et le reflux des moments, la personne jouit de transductions. La transduction est onorique. Je me laisse aller à rêver, à associer : je me transforme. Je deviens poète. Je vais d’ici à là. Le journal est associatif, comme le rêve. Il rend compte d’une lecture, d’une rencontre, d’une idée survenue impromptue, alors que je savourais une bière dans un Kneipe de Berlin."
Donc, voilà… ce journal reçoit tout maintenant ! Le grand journal transversal déposé pour les cours Journal de recherche, Théories de l'expérience et Penser l'institution, le journal a pris le nom de transductif. La recherche du thème de la note d'investigation à fait le tour de tous les cours. C'est intégré un peu par ici, un peu moins par là. A fait de l’auto-stop et c'est aventuré. A pris des risques. A regardé le doigt et aussi de l'autre côté.

01h 50 (heure de Quito) (voyage réel, trip, création, vide, voyage imaginaire, Misérable miracle)

Quelque part sur l'océan. Les étoiles sont incroyablement belles d'ici.
Les gens dorment et il me semble un bon moment de revenir au trip. (Quelqu'un s’est couvert jusque la tête - on dirait une momie.)
On a fait ce semestre un travail en groupe pour l'Approche multiréférentielle des situations éducatives sur le non-travail comme moment formateur. Ma théorie, était que le non-travail travaille toujours. Et quand je dis non-travail, il s'agit de l'extrême, du vide, du rien. En passant par la psychanalyse et les cinq étapes du travail créatif de Anzieu, dont le premier est le saisissement, j'affirme qu'il y a toujours un moment (plus ou moins long) de vide mental absolu. Après avoir beaucoup investi ce travail, j'arrive à la conclusion que ce vide peut aussi être post créationnel, non seulement pré-. D'ailleurs, l'après, le moment ou on a fini la session de peinture, on se sent vidé. On a accouché. Il y a même une connotation et un sens assez sexuel à cette sensation de vidage. Mais, bon, le trip ce n'est pas ni l'avant, ni l'après, c'est durant.
Comme je peins avec de la musique, je ne suis pas si sûre qu'est-ce que me fait voyager. Peut-être la combinaison des deux. Les étapes seraient les suivantes
-       le rien, vide, rien faire, on se remplit, on se remplit de courage, on ignore la toile à peindre, on libère terrain, on est dans une sorte de déni. On prend sa dose, comme le dirait Michaux
-       Puis, on se lance. Littéralement. Comme un tigre sur la proie. On attaque, on arrache le morceau. Donne des coups de pinceau, de spatule. Lance la couleur.
-       Rien, de nouveau. Mais c'est un rien ou un vide différent du précédent - celui-ci c'est vidé ; l'autre attendait à être rempli. Un peu comme le demi-verre d’eau : mi plein et mi- vide.
Cette explosion intermédiaire suit le rythme de la musique. Il y a un an, j'ai peint une série entière en écoutant en boucle le Opus 35 de Tchaïkovski, un concerto pour violon. C'étaient des peintures différentes de tout le reste. Elles portent toujours l'empreinte de mon style, mais elles sont faites sous l'effet d'une autre drogue. Le livre de Michaux a deux parties : il décrit la mescaline dans la première et le chanvre dans la deuxième. Effets différents.
Et on ne peut pas raconter ça. Ça se vit. Puisque ce moment de la création parfaite, si précieux, si rare qui te fait voyager si loin et te transforme. J’essaie en vain de trouver les mots pour décrire ça, mais il ne me vient que des images. Je tenterais avec une, accessible à tous. Il y a ce film, Dr. Strange où le monsieur, mieux dit, son corps astral connaît le multivers, d’autres univers parallèles. Je ne sais pas qu'est-ce qu’a signifié exactement, mais l'image c'est ça : une sorte de dimension inconnue et la vitesse. De l’au-delà, altérité dans son extrême. La vitesse est très importante dans ce passage d'une dimension à l'autre. Des formes et des couleurs qui bougent. Et, toi, un petit être minuscule tu flottes là, abasourdi.
Mais, comme je l'ai dit, a c'est le moment parfait de la création parfaite. C'est un moment extrêmement rare puisque normalement, le fait de créer et difficile. Il est plus frustrant que satisfaisant.
"Faut-il parler du plaisir ? C'était déplaisant.
Une fois l'angoisse de la première heure passée, résultat de la confrontation avec le poison, angoisse elle qu'on se demande si on ne va pas tomber évanoui, comme font certains, rares il est vrai, on peut se laisser aller à un certain courant, qui ressemblerait à du bonheur. L'ai-je cru ? Je ne suis pas sûr du contraire. Pourtant, tout au long de ces heures inouïes, je trouve, dans mon journal, ces mots, écrits plus de cinquante fois, gauchement, difficilement : Intolérable, Insupportable.
Tel est le prix de ce paradis (!) Mars 1955." (Michaux)
Intolérable. Insupportable. Il y a une théorie sur le traumatisme dans la création : celui-ci la nourrit, et on exorcise un peu ce traumatisme, mais en même temps on se traumatise plus… en créant. Donc, oui, plaisir, une sorte de paradis mais qu'il faut payer…
Un petit mot sur le Misérable Miracle : je ne l'ai pas relu, juste feuilleté et revu de passages à l'hasard. Je me rappelle que quand j'avais fait la lecture il y a quelques années, c'était difficile. La description de ces états vécus je les sentais très proches. Compréhensibles. Il y a de la transe dans la création picturale et on n'a pas besoin d'artifices pour stimuler. Le livre finit avec une sorte de promesse d'abandon des drogues, même pas tous les quatre ans. "Mettons que je ne suis pas très doué pour la dépendance." Et moi, mettons que je suis assez douée pour voir toutes ces formes, lignes, fissures, rose et pus de rose sans l'aide de… Je n'ai jamais voulu essayer des "aides" psychique-tropes, je n'aime même pas l'alcool. Je me dis "si dans un état normal je ne contrôle pas trop bien mon corps et ma tête s'envole facilement… j'ai peur d'essayer un état inhabituel” !
En parlant, d'état anormal : je devrais dormir. Vraiment, faire l'effort. Ça fait plus de 12 heures que je suis sur les routes (je compte l'aéroport aussi) et je suis fatiguée.  Aujourd'hui j'arrive à Lyon. Demain, vendredi je vais à Grenoble parce que l'exposition de Kandinsky finit le 29 et samedi matin un séminaire à Lyon (Freud et Co.)
Bonne nuit. Bon matin. On se voit à Amsterdam.

Vendredi 27 janvier 2017 (fin, réalité, voyage imaginaire, Michaux, langage)


Saint Priest, 2°C
Il fait froid et je ne me récupère toujours pas de la fatigue du voyage. Et ma mère me gave avec du foie gras et de choucroutes… ça fait dormir ! Impressions de la traversée : les choses ont vraiment changé en Europe. Les contrôles sont plus durs, même à Lyon où on sortait directement de l’aéroport, ils ont installé un poste contrôle de frontière. Pour la prochaine : ne pas voyager en bottes (ils te les font enlever à chaque passage), ne pas amener des parapluies suspects dans la valise de main et… avoir le manteau sous la main ! Amsterdam, 0°C et moi en petit pull sur la piste en attendant que les autres montent dans ce petit avion.  Mais, voilà, on apprend toujours de ses erreurs pour que, la prochaine, on en commette d’autres !
Maintenant je vais mettre fin à ce journal puisque je n’aurais pas le temps de le développer plus. C’est le moment famille et profiter du séjour.
Je devrais le conclure d’un point de vue formateur, mais dans mon cas c’est un mélange entre la réalité du voyage, le trip créatif (que je n’ai pas développé autant que j’aurais voulu, mais qui doit aussi rester mystérieux) et une petite incursion dans mon cheminement théorique. Celui qui cache le flou créatif par la science ; par des choses trop sérieuses qui donnent une sorte d’assurance.
Mais je voudrais finir avec Michaux qui m’a accompagné tout au long de ce journal. Compagnie souvent symbolique, mais qui entre dans la catégorie de voyage imaginaire avec un compagnon tout aussi imaginaire. J’ai apporté avec moi un article très intéressant de Dominique Noguez « Les voyages imaginaires de Michaux » et oui, le journal est toujours un voyage imaginaire.   On traverse les lignes, les feuilles et, le plus important, les pensées. Ses propres pensées et celles des autres. Le problème avec les voyages internes, c’est qu’ils sont difficilement verbalisables, racontables, explicables… ils sont « impulsions, rythme et couleur, étude de l’esprit qui n’est pas pur langage, mais d’abord vibration, image, corporéité. » (Noguez, p. 18) Il s’agit des états de la conscience qu’on ne peut pas expliquer. On peut tenter de les décrire. Michaux le réussit, il est poète et il fait route avec les mots. Je le visualise.

Commentaires

Articles les plus consultés