Je suis depuis longtemps dans le commentaire et… j’ai déjà parlé de ça. Ce que m’intéresse c’est la réification que j’ai cherché approfondir. Je boucle maintenant mon essai free-style sur la Bildung  réinterprétée dans le monde de l’art contemporain et l’étude de cas que je fais m’a fait penser à ce concept. Concept assez flou d’ailleurs et si on le prend dans son sens primitif de « objectivation », dans le monde de la création artistique… c’est un peu ça : le talent, l’expérience, la vision, le travail, l’inspiration de l’artiste peintre devient objet. Pire : objet de consommation. Donc  il y a tout un processus si sublime qui se réifie ! Mais, il y a aussi une réification à travers cet objet (d’art) puisqu’il est instrument de transmission et d’éducation. Selon Lukacs dans Tertulian il y a une « vocation désalinéante de l’activité esthétique » et « c’est en interrogeant la spécificité de l’activité esthétique dans son grand traité d’Esthétique que Lukacs a été amené à faire valoir la vocation de l’art à dissoudre les « fétiches » qui figent la conscience au niveau de la praxis quotidienne : la mission déréfiante et désaliénante de l’art s’exprimerait dans le fait que « les sens deviennent (…) dans leur praxis des théoriciens » selon la formule du jeune Marx, en s’émancipant de l’assujettissement aliénant au principe de l’avoir (das Haben) au nom de l’épanouissement du principe de l’être (das Sein). »[1]  Mon cas est le suivant : l’art en principe est désaliénant, mais il y a une œuvre nommée Cloaca[2] Du rien vers une des machines les plus compliquées. Un exploit scientifique, d’ailleurs… La Cloaca. Wim Delvoye, en 2000  fait sa première machine à caca et jusqu’à maintenant il y a huit versions : Original, Improved, Turbo, Quattro, N°5[3], Personnal, Super Mini, Travel Kit, Professional et Faeces. Cette machine construite en étroite collaboration avec des scientifiques reproduit le système digestif humain, est alimentée avec de la vraie nourriture et produit des excréments vendus à mile dollars. En 2003, à Lyon, la machine a consommé les plats des meilleurs chefs étoilés[4].   « Cloaca, selon son créateur même, a été conçue pour être inutile, nuisible au besoin, coûter très cher et rapporter beaucoup : « J'ai d'abord eu l'idée de faire une machine nulle, seule, avant de concevoir une machine à faire du caca » et « j'ai cherché un truc compliqué, difficile à faire, et cher, et qui ne mène à rien » »[5] Wim Delvoye, peut-être ne va pas si loin mais sa métaphore sur l’humain est très éloquente. D’une part, l’humain est pris à ce qu’il est : une machine biologique. Un tuyau qui fonctionne dans sa mécanique parfaite, belle dans sa nature, sans une autre fin que celle d’être. De l’autre part, c’est aussi une métaphore sur comment fonctionne le monde au niveau informationnel. Est-ce que cet appareil/œuvre d’art réifie ? Aliène ? Le sujet, l’homme est réifié directement puisque présenté dans toute sa « splendeur » naturelle, un tuyau, quoi. Mais il y a une réification du tiers qui est supposé d’être émancipé, désaliéné. Ou il n’y a pas. Mais il y a capitalisme, la marchandise, les biens échangeables, vendables, l’État bureaucratique, la société bourgeoise, etc. Le fait d’acheter un bout d’excrément dument emballé et étiqueté à mille dollars, me réifie ? M’aliène ? Ou aliène l’art en général ? (la pensée esthétique.)




[1] Nicolas Tertulian, « Aliénation et désaliénation : une confrontation Lukács- Heidegger », Actuel Marx 2006/1 (n° 39), p. 29-53.
DOI 10.3917/amx.039.0029
[3] Comme tous ces titres qui rappellent les logotypes de certaines grandes marques, la Cloaca N° 5 révèle d’un sens de l’humour  qui en parle beaucoup.

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